Je suis reparti en Argentine ! Bientôt le nouveau blog ...
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jeudi 29 avril 2010

De plage en île en plage ... la côte du Cambodge


Après quatre jours pas désagréables à Phnom Penh malgré la fournaise, j’attrape un bus pour foncer vers la côte, et la promesse de longues et belles journées. Demain c’est le nouvel an Khmer, le bus est plein de cambodgiens habillés sur leur 31 pour rejoindre leur famille. Pour moi ce sera la troisième fois que je « fête » le nouvel an, après celui du 31 décembre et le Têt vietnamien. A chaque fois des inconvénients, des bus pleins, des prix gonflés, ça devient lourd …

Mon objectif est Kampot. Cette petite ville n’est pas exactement sur la côte mais toute proche, au bord d’une rivière. Elle ne manque pas de charme avec ses vieilles villas françaises, et elle est surtout connue pour sa production de poivre, vert quand il est jeune ou noir. Avec les fruits de mer à profusion sur la côte, c’est la promesse d’une gastronomie à faire saliver …

J’y arrive vers midi, sous un soleil écrasant, et m’installe dans une belle petite guesthouse où doivent me rejoindre Fiona et Jola, rencontrées la veille à Phnom Penh. En déjeunant au bord de la rivière, je rencontre Estelle, française qui étudie à Bangkok, Zoé grecque et Yul, hollandaise. Elles veulent louer un scooter pour l’après-midi, pour aller voir une grotte et une cascade. C’est le genre d’idée à laquelle je ne résiste pas. Après un petit tour de la ville pour constater qu’elle est très endormie, nous louons trois scooters mais Yul se sent subitement très mal, apparemment une réaction digestive ultra-rapide au déjeuner tout juste avalé. Je pars donc seulement avec Estelle vers la grotte de Phnom Chnork. Après quelques kilomètres d’une route chargée, étroite et chaotique, nous entrons sur un chemin de terre qui s’enfonce dans la campagne. Le paysage est splendide, fait de rizières aujourd’hui asséchées, de palmiers, et de maisons traditionnelles cambodgiennes encore plus belles que d’habitude.



A force de demander notre direction sur ce chemin plein de trous, un jeune garçon qui parle tout juste anglais se propose d’être notre guide. On sait vaguement qu’on en aura besoin, donc il laisse son vélo sur le côté et monte derrière moi sur le scooter. Cet endroit est magique, mais il faut surtout se concentrer sur le chemin défoncé. Nous arrivons à la grotte, et notre jeune guide a ameuté deux de ses copains qui parlent bien anglais. Nous entrons donc avec trois jeunes tchatcheurs qui se débrouillent pas mal comme guides, nous montrant les formes d‘animaux formées dans la roche par les ruissellements. Pas beaucoup plus à voir, à part une belle vue sur les rizières et palmiers alentour. Nous repartons par le même chemin à travers les rizières, je dépose notre guide qui a gagné son dollar, et repartons vers Kampot. Direction la cascade de l’autre côté de la ville. Comme il n’y a pas moyen de la trouver, et que personne sur le bord de la route ne parle anglais, nous montons en haut de la colline avec les scooters pour une vue spectaculaire. Au bord de cette route raide, quelques baraquements très pauvres, des adultes et des enfants plus enthousiastes que jamais à nous lancer des « Hello ! ». C’est amusant de voir qu’au Cambodge, dès que l’on s’éloigne quelque peu d’une ville ou d’une route, immédiatement on déclenche dix fois plus de réactions et de sourires, comme si l’on passait dans un endroit reculé où ne passe aucun étranger. Ici ce n’est pas loin d’être le cas, les enfants sont enthousiastes mais quand même un peu farouches, n’osant pas nous approcher de trop près.




Nous roulons vers Kampot en pleine nuit, aveuglés par les cendres qui volent à cause des champs en feu sur les côtés. Dans la guesthouse, je retrouve Fiona et Jola qui viennent d’arriver, accompagnées de Markus, un allemand qu’elles connaissent depuis les 4000 îles au Laos. Nous sommes rejoints par Estelle, Zoé et Yul, et à sept donc nous partons dîner dans un restaurant local, un des rares ouverts à cause du Nouvel An. Puis nous marchons à travers la ville obscure, presque démunie de lampadaires, et tombons sur une petite boum avec plein de jeunes cambodgiens qui dansent comme des fous sur de la techno commerciale crachée par une sono braillarde. Forcément ils veulent qu’on danse avec eux, qu’est-ce qui pouvait leur faire plus plaisir que des étrangers à leur boum ? On se force un peu parce qu’il faut bien, et un peu pour le fun, et on prend congé pour rejoindre un bar tenu par des anglais, dans une rue calme et sombre. Encore des occidentaux, jeunes ceux-là qui se sont expatriés au Cambodge, et dans un coin très très calme, cela fait réfléchir.

Le lendemain est encore une journée scooter, sans Estelle qui nous quitte. Nous décidons d’aller au sommet de la montagne Bokor, où se trouvent les ruines d’une ancienne station de vacances pour les colons français, abandonnée à l’arrivée des Khmers Rouges et laissée à l’abandon depuis. Au pied de la montagne un péage-racket nous déleste de 5 $ chacun, et nous nous engageons dans l’ascension, d’abord sur une belle route asphaltée, puis sur un chemin en terre de plus en plus défoncé, reste de l’ancienne route. Première constatation, nous ne sommes pas seuls, de nombreuses voitures montent également, à bord de gros 4x4 pour la plupart. Probablement des familles réunies pour le Nouvel An, qui viennent visiter Bokor pour la journée. Heureusement on peut facilement les doubler dans la montée, parce que c'est le défilé, et le pire est à venir ...

Le chemin est de plus en plus dur et encombré par les voitures, jusqu’à ce que nous arrivions au sommet de Bokor. Là grosse déception, la cité fantôme recèle très peu de villas, seulement une église, un ou deux bâtiments, et au loin un énorme bâtiment qui a l’air d’attirer tout le monde. Petit tour dans l’église entièrement taguée, et séance photo avec une vue fantastique sur toute la côte et les îles au large.




Pendant ce temps les voitures continuent d’affluer, et le sommet de la montagne devient un gigantesque embouteillage. On se rapproche comme on peut du grand bâtiment, zigzaguant entre les voitures et les grosses pierres. On gare les scooters comme on peut, et on traverse un terrain vague en passant devant une des nombreuses familles qui pique-niquent et veut nous faire goûter un peu de leur mixture, à l’apparence spéciale mais excellente. Ce grand bâtiment est en fait l’ancien casino-hôtel, à l’architecture imposante et prestigieuse. La façade tire une sale tête, mais l’édifice tient parfaitement debout, défiant le temps. Et le plus grand jeu de tous les cambodgiens, et nous aussi bien sûr, est de se balader à l’intérieur pour admirer ce vestige d’un autre temps, celui de la présence française et du luxe.

Et comme il fait chaud à l’extérieur, les familles s’installent à même le sol, pourtant très sale, de ce qui devait être un grand salon. Le sol est très sale, on frôle les 100 décibels tellement il y a de monde, mais ils sont contents de pique-niquer là, dans le plus pur style asiatique. Et qui dit gastronomie asiatique dit : on fait des miracles culinaires avec presque rien, et en respectant l’hygiène alimentaire malgré la saleté ambiante. Certains font carrément griller des poissons sur un mini-barbecue à même le sol, on salive. A l’extérieur du bâtiment, le monde est encore plus fou, le parking vert est envahi de voitures garées dans tous les sens, les familles pique-niquent n’importe où, dans des positions qui nous paraissent contraires au plaisir.



C’est plein, engorgé, on s’y sent déjà oppressé, mais les voitures continuent d’affluer. Je n’ose pas imaginer le gigantesque embouteillage quand ils décideront de repartir, et justement il paraît y avoir un bon créneau, donc on enfourche les scooters et on démarre. Joie de courte durée, 200 mètres plus loin, le chemin est paralysé, par les gros 4x4 qui essaient de se croiser sur ce chemin défoncé et étroit. Deux ou trois policiers font vaguement la circulation mais ne servent à rien. Tous les cambodgiens coincés dans leurs 4x4, essayant d’atteindre le sommet, semblent trouver ça normal, personne ne régule ou ne limite le flux de voitures. Un 4x4 bloque même toute la circulation, moteur qui fume. Nous là dedans on essaie de se faufiler, de doubler, d’éviter les grosses pierres, de préserver le scooter, de ne pas tomber, et on se prend des tonnes de poussière dans les bronches. Derrière Zoé et Yul sont à deux sur leur scooter, et débutantes, elles dégustent. On s’extirpe lentement de tout ça, on redescend la montagne, accueillant l’asphalte comme une oasis. Je me dis que ce n’était ni l’endroit ni le jour pour un débutant de s’initier à moto, comme Zoé par exemple.

J’arrive à la barrière en bas largement en avance, avec Fiona, et nous attendons longuement les autres, beaucoup trop longuement. Finalement Jola et Markus arrivent et nous apprennent que Zoé et Yul sont passées devant nous dans une voiture, direction l’hôpital. Elles ont chuté plus haut, et Zoé s’est méchamment ouvert la jambe. Intuition malheureusement juste de ma part, mais j’avais prévenu les autres qu’une journée mal démarrée, avec deux ou trois bricoles le matin, était un mauvais signe. Je ne crois pas si bien dire, la journée n’est pas finie.

Nous repartons donc à Kampot, cherchons en vain Zoé à l’hôpital quasi-désert, et déjeunons d’un plat à fondre sur place, sur un petit stand sur le trottoir, avant de repartir vers la grotte Phnom Chnork. Je l’ai déjà vue la veille avec Estelle, mais l’environnement est tellement magique que je ne me fais pas prier pour servir de guide. Nous retraversons donc ce lieu magique, entre rizières et maisons traditionnelles, évitant les méchants trous, pour arriver à la grotte. Sans savoir pourquoi, j’ai l’impression d’être sur une île, peut-être le souvenir inconscient de celles que j’ai visitées récemment comme à Kom Pong Cham. Les digues de démarcation entre les rizières forment un réseau de petits chemins qui se croisent dans tous les sens, je voudrais avoir un vélo pour m’y aventurer et m’y perdre. La jouissance de ce paysage ne saurait être complète sans les regards étonnés et souriants qui nous entourent. Cela me fait penser à un article lu il y a quelques jours à Phnom Penh, qui regroupait le Vietnam, le Laos, le Cambodge et la Thaïlande sous l’appellation « Pays du sourire ». Définition parfaite.

Nous arrivons à la grotte, nous sommes immédiatement abordés par un ou deux jeunes enfants qui se proposent comme guides. J'attends à l’extérieur, et profite du spectacle simple de paysans qui arrosent leur champ avant le coucher du soleil, portant courageusement des litres d’eau sur leurs épaules, et les déversant suivant une chorégraphie involontaire mais élégante.



Les autres paraissent s’amuser comme des fous dans la grotte, guidés avec plaisir par les enfants qui dévoilent tous leurs secrets, leurs passages. Surtout Markus qui ressort le crâne légèrement ouvert et ensanglanté pour s’être cogné contre une paroi. Quand je disais qu’il y a des journées maudites … On rémunère les deux jeunes guides, on mitraille le coucher de soleil et on repart doucement, s’arrêtant souvent pour prendre des photos. Je roule devant bien que lentement, je vois un petit bout de bois se prendre dans ma roue, je freine doucement pour m’arrêter, le scooter se met brusquement de travers, et je me retrouve à terre sans avoir bien compris, une jambe sous le scooter.  Les trois jeunes cambodgiens qui marchaient là mettent un peu de temps pour réagir, mais finissent par me dégager. La peau du coude gauche bien arraché, quelques éraflures sur la jambe droite. Je douille mais remonte quand même sur le scooter, pour rentrer à Kampot. Quand je disais que la journée avait mal démarré … d’ailleurs récemment je me disais qu’après toutes les fois où j’ai loué un scooter en Asie, j’étais plutôt content de n’avoir encore rien eu. Les rues des villes asiatiques sont pleines d’occidentaux avec un bandage …

Nous passons une soirée tranquille à l’hôtel, et retrouvons Zoé et ses points de suture, administrés par un docteur bizarre qui se marrait et lui disait de regarder. Le lendemain je décide de partir à Kep, avec Fiona et Jola. Markus repart en Allemagne, Zoé est coincée par sa blessure, et Yul aussi donc.

A peine 30 minutes de bus et nous voilà à Kep, au bord de la mer. Kep est une station balnéaire huppée, qui était très prisée des colons français. C’est Nouvel An, de nombreux hôteliers décident d’augmenter leurs prix même s’ils ne sont pas pleins, va comprendre ! C’était pareil au Vietnam, je commence à en avoir marre de fêter le Nouvel An, d’autant qu’ici il ne se passe rien, même pas de feu d’artifice. Il faut donc prendre une guesthouse très excentrée sans vue sur la mer, mais pas désagréable. Nous revenons dans le centre de Kep en tuk-tuk, et nous nous baladons le long de plage, bondée de familles venues fêter le Nouvel An. L’attraction vient surtout de Fiona, les cambodgiens semblent n’avoir jamais vu de cheveux crépus et trouvent ça très marrant. Ce que nous trouvons très marrant, nous, c’est que les familles sont toujours en train de manger, assis en rond sur une bâche. On pousse un peu plus loin, et à notre grand bonheur nous sommes invités au pique-nique d’une famille assez nombreuse. On nous sert et re-sert en bières, en riz, viande et autres plats inconnus. Nous n’avons absolument pas faim mais ce serait impoli de ne pas manger, alors on se force et on trinque toutes les 2 minutes comme ils aiment faire. Heureusement un des beaux-frères parle anglais, sinon nous étions bons à sourire bêtement pendant presque une heure.



Nous prenons finalement congé, ravis de ce petit moment, et marchons vers le centre, sous des nuages noirs. Depuis plusieurs jours les nuages se font plus nombreux le matin, annonçant l’arrivée imminente de la première pluie, tant attendue. Et un bel orage éclate, accompagné d’une pluie torrentielle pendant une heure au moins. Cela ne rafraîchit pas tellement l’atmosphère mais c’est un bonheur à voir ! Un tuk-tuk accepte finalement de nous ramener à la guesthouse malgré la pluie, et nous terminons la soirée tranquillement dans la guesthouse.

Le lendemain matin c’est un autre tuk-tuk qui vient nous chercher, pour nous mettre dans une grosse barque. Direction Koh Tonsaï, ou Rabbit Island, pour au moins une journée et une nuit de farniente dans un cadre de rêve, sur fond de sable et palmiers. A peine débarqués nous savons que nous passerons au moins deux nuits. Certes toute la plage est squattée par les guesthouses et leurs petits bungalows rustiques assez rapprochés, et en cette semaine de Nouvel An il y a du monde, un mélange de voyageurs occidentaux qui restent dormir et de familles venues pour la journée. Mais on se sent bien sur cette île, pas d’Internet, électricité uniquement le soir, bungalow au confort minimum, et « salle de bains » réduite à sa plus simple expression : des jarres d’eau tirées d’une source, de l’eau supposée propre mais brune.



C’est donc parti pour trois jours d'intense farniente ou presque, de shakes à l’ananas, de poisson grillé à la sauce poivre de Kampot et citron vert (une tuerie !), de baignades au petit matin ou en pleine nuit sous l’orage qui gronde tous les soirs, de lecture dans le hamac, et de soirées autour du bar de Sam avec plein de gens sympa. Pour dire de se bouger un peu, je fais quand même le tour de l’île avec Jola, découvrant quelques familles qui vivent de la pêche, dans une pauvreté impressionnante. Le lendemain nous montons au sommet de l’île, debout sur un ancien bunker Khmer Rouge pour difficilement apercevoir les autres îles. Mauvaise idée, je tombe deux fois dans la descente sur le chemin raide et glissant, et ouvre précisément les plaies déjà faites avec le scooter. La poisse …

Finalement après trois jours, et deux nuits presque blanches au bruit assourdissant des grenouilles qui croassent juste sous mon bungalow, je quitte l’île en même temps que Jola. Fiona a réussi à se faire embaucher au bar et reste une semaine.

Je ne passe qu’une nuit à Kep, avec Jola nous dînons au Crab Market, qui n’est pas un marché mais une succession de restaurants de fruits de mer. Un dîner à se faire exploser la panse, des fruits de mer accompagnés de l’inévitable sauce au poivre. Le lendemain Jola part à Phnom Penh, je continue le long de la côte vers Sihanoukville. En attendant le bus qui ne viendra jamais, j’observe les mini-bus qui passent chargés à bloc, avec des gens sur le toit, et les bagages qui dépassent largement du coffre, en suspension au-dessus de la route : une moto, trois cochons …



Je finis par avoir un bus deux heures plus tard, et arrive à Sihanoukville. C’est le nom que tout le monde a sur les lèvres en pensant à la plage, mais c’est une ville moche, avec des plages très moyennes et du tourisme de masse. Sauf Otres Beach, une plage à 4 km. Plusieurs voyageurs me l’ont conseillée, mais elle était censée être livrée aux promoteurs. Un mototaxi m’indique qu’elle est bel et bien là, pas encore détruite, je ne réfléchis pas et m’y fais emmener, oubliant mon intention initiale de m’installer en ville pour aller voir un médecin et faire vérifier mes blessures.

C’est une plage magnifique, très longue et pas bien large. Là aussi, les guesthouses sont alignées tout le long, mais sans que cela gâche le plaisir. Je m’installe au Sunshine Café, encore un bon conseil récupéré récemment. Je passe quatre jours de farniente complet, passant tout mon temps dans les fauteuils confortables face à la mer, n’allant même pas tester les menus dans les autres guesthouses. Lecture, blog, baignade, happy hour … Il n’y a pas grand monde mais toujours les mêmes, deux russes, un couple d’irlandais, une flamande, et le couple très sympa qui tient l’endroit, Monica et Kem. Trois jours de plaisir absolu, sauf mes blessures qui ne s’arrangent pas et m’obligent à quitter ce petit paradis pour repartir en ville. Je ne me suis jamais autant arrêté dans de beaux endroits, inconsciemment ça doit être la compensation d’un rythme trop chargé depuis le début de ce voyage, d’une incapacité à ne rien faire que j’arrive enfin à soigner.




Une nuit à Sihanoukville, une visite chez le docteur, et je peux reprendre la route, en faisant tout de même l’impasse sur le trek que j’avais prévu. Pas grave ce n’est pas la bonne saison. Et je commence à trépigner en pensant à l’attraction principale du Cambodge, ses fameux temples …

Allez on se fait une journée entière de bus pour s’en approcher !
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vendredi 23 avril 2010

Dans la fournaise de Phnom Penh

Après une succession de mini-étapes depuis que je suis entré au Cambodge, me voilà parti pour la capitale. A Kom Pong Cham je me lève tôt dans mon hôtel impersonnel mais pas cher, prends le petit-déj’ chez le couple de français récemment installé, jette un dernier coup d’œil au Mékong et à la croisette, et retrouve le mototaxi sympa qui m’avait amené hier. Il a tellement peur que je me laisse embarquer par un concurrent, qu’il attend devant mon hôtel une demi-heure avant le rendez-vous. Je monte dans un bus bien rempli, uniquement des cambodgiens, et trois heures plus tard, nous arrivons dans la capitale. Je n’avais pas vu de ville aussi active depuis bien longtemps.

J’envoie paître un mototaxi qui annonce un prix honteux, et j'en choisis un autre qui m’emmène à Sunday Guesthouse. Je ne regrette pas mon choix, c’est une belle guesthouse tenue par un jeune gérant qui parle parfaitement l’anglais et le français, et, ô suprême bonheur, je profite du wifi gratuit et rapide jusque dans la chambre, une rareté absolue ! De quoi me permettre de charger et sécuriser des tonnes de photos et vidéos, ce que je n’avais pu faire pendant de longues semaines. Le wifi gratuit et performant est une denrée rare au Laos et au Cambodge, mon PC va souffrir pendant quatre jours …

J’attends au moins la moitié de l’après-midi avant de sortir de la guesthouse, et me dirige droit vers le Centre Culturel Français. Ils diffusent des films gratuitement plusieurs fois par semaine, dans une petite mais vraie salle de cinéma, c’est donc mon objectif principal. Et je fais bien de m’y précipiter parce que nous sommes à quelques jours du Nouvel An Khmer, et que le Centre Culturel sera fermé dès le lendemain pour une semaine. Je traîne donc longtemps à la librairie, où les livres neufs sont malheureusement trop chers, à la médiathèque, où les livres d’occasion ne sont prêtés qu’aux gens installés ici, et je profite donc de la dernière séance … un film que j’ai déjà vu, mais c’est toujours ça de pris ! Ce sera tout pour aujourd’hui, je n’ai presque rien vu de la ville mais je rentre à la guesthouse.

Le lendemain est une journée chargée, je décide d’aligner les visites culturelles et historiques, et de visiter Phnom Penh. Je commence avec le Musée National, un bâtiment magnifique qui expose uniquement des statues Khmer, autour d’un patio central fleuri et superbe. Les grandes statues, représentant souvent les divinités hindouistes, sont impressionnantes, mais avec toutes les petites statues montrant Shiva assis, Shiva debout, Shiva les bras écartés, Shiva se curant le nez … on est tenté de passer rapidement.




Il faisait déjà chaud en entrant, mais en sortant à midi c’est intenable, une vraie fournaise. J’ai deux heures à patienter avant l’ouverture des autres sites, je vais me balader et déjeuner sur le front de la rivière Tonlé Sap, qui aligne les restaurants assez cozy, dont un Foreign Correspondents Club of Cambodia, le parfait repaire à expatriés avec un décor colonial jusqu’au moindre détail, mais aux prix très marqués aussi. J’en choisis un autre et je m’installe face à la rivière, et c’est le défilé des vendeurs qui commence, des enfants surtout. Si j’ai le malheur de lever les fesses 10 centimètres de mon fauteuil, trois mototaxis me hèlent immédiatement, toujours à l’affût d’un client potentiel qui va régler l’addition. Même en terrasse on a chacun un ventilateur, tellement c’est difficile à supporter. Une fois déjeuné, je décline tous les mototaxis, qui sont nombreux et proposent leurs services en permanence, mais ils n’insistent pas lorsque l’on refuse et gardent le sourire, probablement le principal gène cambodgien. Un tour dans une librairie d’occasion, en vue des jours à venir sur les plages et îles du sud, et je ressors avec le fameux Killing Fields, récit des horreurs khmers par un journaliste américain. Un roman plus mielleux aurait peut-être été plus indiqué, mais au moins je vais m’instruire. Les voyageurs qui viennent au Cambodge ont principalement deux choses en tête : les temples d’Angkor Wat, et l’histoire du génocide (et les plages aussi mais on le dit moins).

Vanné et trempé par une petite demi-heure de marche sur la croisette, je peux enfin continuer les visites. Direction le Palais Royal, bâtiment magnifique ressemblant à un temple dans un parc vert et fleuri, une vraie oasis dont on ne nous laisse visiter qu’une petite partie. Sur le même site on trouve la Pagode d’Argent, encore un bel édifice entouré de quatre stupas et de verdure. A l’intérieur du temple, un énorme Bouddha en or de 90 kg et 9584 diamants. En me promenant autour du temple, visité surtout par des cambodgiens, je vois un jeune moine apparemment en vacances avec sa famille pour le Nouvel An. Il prend des photos avec son téléphone dernier cri, une clope dans l’autre main.




La température a à peine baissé, mais je continue à pied pour explorer quelques rues et le monument de l’Indépendance. A mon grand étonnement, Phnom Penh est une ville moderne et assez riche, débordant forcément d’énergie mais pas si bruyante et saturée de trafic que je l’avais lu. Quand on a vu Hanoi et surtout Saigon, plus rien ne paraît oppressant ! En tout cas j’étais venu à Phom Penh avec des images négatives, sans savoir dire d’où elles venaient, et je suis positivement surpris.




J’attrape un mototaxi pour continuer sur ma lancée, direction le musée Tuol Sleng, un endroit dur mais à ne pas rater. Il se trouve dans la prison au nom de code S-21, installée par les Khmers Rouges pour interroger et torturer les supposés opposants et traîtres au régime, avant de les envoyer se faire exécuter à l’extérieur de la ville. Avant d’être utilisée comme prison, c’était une école, chaque salle de classe a donc été utilisée comme salle de torture, ou comme cellules collectives et individuelles. On peut voir des centaines de photos des martyrs avant ou après torture, puisque les Khmers Rouges prenaient un soin méticuleux à tout documenter et archiver. De nombreuses cellules, minuscules, sont encore en place. Des instruments de torture aussi, de vieux lits en fer. Et des photos, des témoignages sur les méthodes des Khmers. Seuls 7 survivants furent trouvés dans la prison à la libération par les Vietnamiens. Je ne peux y passer que deux bonnes heures avant la fermeture, mais une demi-journée est nécessaire pour tout lire.




Après une telle visite, il faut un bol d’air. Je m’offre une petite balade à travers les quartiers populaires. Je découvre un bar à télé, comme à Vang Vieng au Laos, mais pour les locaux et en beaucoup plus sobre. Je repasse la soirée tranquillement dans ma chambre, pas encore décidé à sortir après une journée aussi crevante. Mon PC lui n’a pas bougé, mais a encore plus chaud que moi, il tourne sans s’arrêter.

Le lendemain je suis d’attaque assez tôt pour continuer dans le registre des visites difficiles. Je pars en tuk-tuk avec un couple d’australiens vers le site Choeung Ek, aussi appelé The Killing Fields. La suite logique de la prison S-21, le lieu d’extermination de masse du peuple. Celui à l’extérieur de Phom Penh a été érigé en lieu de souvenir, mais il y en a plusieurs à travers le pays. Dès l’entrée on est mis dans l’ambiance, une grande stupa contient des centaines de crânes, autres os, et vêtements collectés, le tout stocké sur différents étages et visible à travers des vitres. On fait le tour du site, en passant entre les trous qui furent des charniers, et les panneaux indiquant ce qui y a été trouvé ou l’utilité de tel arbre dans le travail « d‘abattage ». Pour terminer, un petit musée donne un complément d’histoire, et expose la fameuse tenue Khmer Rouge, faite d’un pantalon et d’une veste noirs et d’une écharpe rouge. Malgré les innombrables crânes, on a du mal à imaginer que cette horreur s’est passée là, à l’endroit où l’on se balade tranquillement.




Après la prison la veille, j’ai ma dose d’histoire et de visites troublantes. Je rentre à l’hôtel et loue un vélo pour explorer un peu mieux la ville. Direction d’abord un restaurant réputé pour employer des gamins sortis de la rue, fermé. Un autre à quelques blocs également fermé, à cause des vacances de nouvel an. Après les contraintes du nouvel an vietnamien il y a deux mois, ça devient lourd. Pour compenser la frustration, je m’offre un petit resto français à prix raisonnables, puis je vais visiter le temple Wat Phnom, au sommet d’une petite colline qui fait office de rond-point gigantesque. Je passe ensuite devant l’hôtel Royal, ex-Phnom, et l’ambassade française, qui furent des lieux de refuge pour les étrangers lors de la prise de Phnom Penh par les Khmers Rouges. Direction le lac Boek Kak, qui est aussi le quartier des backpackers. J’essaie en vain d’en avoir une belle vue d’ensemble, et tombe sur des quartiers très populaires et pauvres, faits de baraquements et de rues défoncées en terre. C’est tellement délabré que je me demande, l’espace d’une seconde, si c’est une bonne idée de s’y aventurer, mais je ne vois que des regards bienveillants, ou au pire indifférents. Malgré l’extrême pauvreté, les gens sont souriants et n’ont pas une once de jalousie envers l’étranger riche à vélo que je suis.

Un peu plus loin je tombe sur un autre quartier tout aussi pauvre, mais qui vaut encore plus le coup d’œil parce qu’il s’étire le long d’une ancienne voie ferrée. Encore des baraquements en bois délabrés, trempant à moitié dans le marécage juste derrière, mais la pauvreté se voit moins sur les habitants eux-mêmes et leurs vêtements. Il y a comme un décalage entre cette femme que je vois, debout sur la voir ferrée avec sa tenue plutôt élégante, et sa baraque trois mètres derrière.




Je repars vers le quartier backpacker pour un petit verre dans une guesthouse sur pilotis avec vue sur le lac. « Juste un verre j’ai dit, tu peux remballer ton petit sachet ! T’es sourd ? Juste un verre ! ». Malgré son sourire persistant le barman finit par comprendre et me sert mon 5863ème shake depuis l’entrée au Laos. Je quitte ce quartier sans intérêt à part le lac difficile à voir, et repars vers la croisette au bord du Tonlé Sap. Je m’arrête bien vite pour profiter d’une spécialité toute cambodgienne : le massage par une personne aveugle. C’est la garantie d’avoir un massage professionnel sans proposition de « finition », et l’occasion de faire une bonne action. Et par préjugé, j’ai tendance à penser qu’un(e) aveugle a une sensibilité plus forte pour masser. Je ne suis pas déçu, ma masseuse parle un anglais impeccable, et réalise un massage de haute volée.

Il commence à faire noir, je continue à pédaler sur la croisette très chargée en trafic et dans les rues derrière, quand je tombe sur trois policiers qui m’arrêtent parce que je roule en sens interdit. Oups je n’avais pas vu ! Je sens venir la tentation de me faire payer une faute qu’ils tolèrent largement pour les locaux mais bizarrement pas pour les étrangers, comme l’écrit le Lonely Planet lui-même. Comme ils parlent un mauvais anglais, je fais mine de ne pas bien comprendre, puis plaide la distraction, réelle d’ailleurs. Et l’on en vient au vif du sujet lorsque l’un d’eux me demande d’abord de ramener du coca pour tout le monde, puis 5 dollars. Je discute, dis que je n’ai pas d’argent sur moi, puis esquive en insistant lourdement sur le coca que je vais leur amener. Ca marche, ils me laissent partir chercher du coca … avec mon vélo ! Je pourrais donc m’en aller sans revenir, mais j’ai l’intention de rester dans le quartier pour dîner, et j’aurai plus de problèmes si je les recroise. Donc je vais acheter trois malheureuses canettes de coca deux blocs plus loin, leur amène, et ils me remercient chaleureusement avec un grand sourire. Cela me fait plus sourire que pitié, et je repars vers la croisette, surchargée en trafic et en piétons, pour m’arrêter à l’un des nombreux bar-restaurants qui s’alignent. Encore un bon dîner très français et générateur de salive, et je file rendre mon vélo au petit loueur, craignant qu’il garde mon passeport … et en faisant attention aux sens interdits et aux rues complètement noires.

Dans la guesthouse, le manager m’annonce que les bus pour la côte sont pleins le lendemain, la faute au Nouvel An. Un rapide coup d’œil à mon PC pour vérifier qu’il n’a pas cramé, et je rencontre David et Paul, deux anglais très sympas. Nous cherchons en vain un bar dans le coin, essayons de nous incruster dans l’un rempli uniquement de locaux qui dansent, mais c’est apparemment une soirée privée. Un shake à l’ananas dans la rue, une voiture poussée à nos risques et périls, et une longue marche plus tard, nous trouvons enfin un petit bar sympa, mais vide. On évite difficilement de discuter de l’Amérique du Sud, que David a largement visitée.

Le lendemain est une journée très calme, que je passe essentiellement sur une terrasse en front de rivière, pour échapper à la chaleur. J’y rencontre Fiona et Jola, guadeloupéenne et polonaise que je n’arrête pas de croiser depuis le sud du Laos, et Else une flamande qui vit ici. Quelques bières ou shakes plus tard, nous bougeons vers un resto local, et revenons sur une autre terrasse pour profiter de la happy hour. Tout le temps que nous sommes en terrasse, c’est un défilé permanent d’enfants qui vendent des livres, bizarrement tous les mêmes, ou des bracelets. C’est évidemment de l’exploitation, et lorsqu’on leur demande où va l’argent qu’ils gagnent, la réponse est automatique mais pas convaincante : c’est pour payer l’école. Ces enfants sont jeunes mais très éveillés, ils parlent bien l’anglais et ont un grand sens de la répartie. Nous les « riches », sommes tentés d’acheter de temps en temps pour les aider, mais l’argent n’est évidemment pas pour eux, et un dépliant largement distribué dans le pays demande de ne surtout rien leur donner ou acheter, même lorsqu’ils sont accompagnés de leur mère, pour ne pas encourager cette exploitation. Et à un niveau plus inquiétant, d’après Else, « le trafic de jeune chair » ne se ferait pas bien loin d‘ici. Pour cela aussi, un poster omniprésent explique aux étrangers les risques qu’ils prennent s’ils se laissent tenter. Ambiance …

Après avoir quitté Fiona, Jola et Else, que je retrouverai très rapidement, je rentre vers la chaleur étouffante de ma guesthouse, à pied à travers les rues sombres pour un dernier coup d’œil sur Phnom Penh. J’ai une dernière nuit à passer au bruit du ventilateur avant de partir vers la côte et les plages. C’est surtout mon portable qui va respirer …
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mardi 20 avril 2010

Kratie et Khom Pong Cham, langueur du Mékong

A Ban Lung, dans la province de Ratanakiri, lever à 5 heures pour attraper le bus à 6 heures, après un petit tour en moto avec le gros sac. C’est impressionnant de voir comme les villes remuent déjà à cette heure. Nous reprenons la route poussiéreuse d’il y a deux jours, à travers forêt et campagne, vers Kratie. Dans le bus c’est l’épidémie de têtes enfouies dans les sacs en plastique, et comme nous ne pouvons pas ouvrir les vitres à cause de la poussière, l’odeur se répand rapidement. La palme revient à un tout petit garçon assis juste derrière moi, la veine. Je suis un peu étonné parce que dans tous les pays pauvres que j’ai traversés, les locaux sont habitués à des trajets en bus difficiles, à cause des routes défoncées ou sinueuses, et de l’absence de confort à l’intérieur. Mais ici la route est plate et droite, et je n’ai jamais vu autant de gens vomir. D’après Benjamin, l’explication serait qu’ils ne voyagent quasiment jamais, et qu’ils ne sont donc pas habitués. Ça se tient. Mais ça sent.

Cinq ou six heures plus tard, nous arrivons à Kratie. Benjamin et Chloé descendent aussi, avec l’intention d’attraper un autre bus, tandis que Matthieu va à Phnom Penh pour soigner son coude.

C’est une petite ville qui témoigne de l’ancien prestige des années coloniales par ses façades et arcades décrépies, écrasée par une chaleur difficilement soutenable et rafraîchie par le Mékong. Les vieilles façades coloniales se concentrent autour du marché crasseux et pittoresque, ainsi que le long du Mékong, tandis qu’à une ou deux rues de là, ce sont les maisons traditionnelles, en bois et sur pilier, qui prennent leurs droits. Il suffit de marcher 200 mètres depuis le marché pour voir une vie extrêmement pauvre, avec beaucoup de déchets, des petits feux ici et là, mais toujours des gens souriants et curieux de voir des étrangers.

Je perds une bonne partie de l’après-midi à poster un article sur le blog, dans l’entrée de la guesthouse à peine rafraîchie par les ventilateurs, et au bruit permanent et divertissant de la rue et du marché. Je me libère enfin de ma corvée pour assister au coucher de soleil sur le Mékong. L’impression de langueur, d’une vie lente écrasée par le soleil, est encore plus forte à cette heure où le Mékong est rougi par le soleil couchant. Une silhouette de pêcheur sur sa pirogue vient se placer dans le reflet rouge-orange du soleil.



Je croise Benjamin et Chloé qui ont raté le dernier bus pour l’est du pays, et doivent patienter jusqu’au lendemain. Puis je vais manger local sur un des étals installés en front de rivière. Les femmes qui y cuisinent ne parlent pas un mot d’anglais, mais ont un menu traduit dans un anglais à peu près compréhensible, qui m’évite de faire un choix malheureux ou de retomber sur l’inévitable mais lassante soupe de noodles au bœuf. Souvent aussi, les jeunes enfants de la cuisinière savent parler un peu d’anglais, ça aide beaucoup. Deux heures dans un chouette petit café pour expats et voyageurs, et au lit.

Il n’y pas beaucoup de choses à faire à Kratie, mon réflexe quasi-pavlovien est de louer un scooter pour explorer les environs. Je pars le long du Mékong vers le sud, et me retrouve vite dans l’exotisme du Cambodge : des maisons traditionnelles au milieu des palmiers, des animaux qui traînent le long et au milieu de la route, des huttes en paille pour abriter les vaches, des paires d’yeux éberlués à mon passage (à moins de cinq kilomètres de Kratie, ils ne doivent pas voir plus d’un visage pâle par semaine), des voitures ou bus qui foncent en m’aspergeant de poussière et graviers, et le Mékong qui se partage entre eaux basses et longues bandes de sable. Je descends vers l’embarcadère du petit bateau qui fait traverser voitures, motos et piétons, et m’arrête sous un petit toit en paille pour prendre un jus de canne, créant le regard étonné et amusé des gens qui tiennent l’endroit. Quelques personnes arrivent en moto pour boire un verre et m’observent discrètement, pendant que j’observe le Mékong majestueux, quelques maisons flottantes et ses pêcheurs affairés entre deux bandes de sable.




Je traverse le petit village juste à côté, un petit paradis au milieu des palmiers, et reprends la route, mais je fais vite demi-tour devant les travaux qui promettent des tonnes de poussière, le souvenir des 80 kilomètres difficiles au Ratanakiri est encore là. Je rentre donc à Kratie, en explorant au passage les quartiers périphériques, d’une pauvreté hallucinante. Après une longue pause dans ma guesthouse, pour éviter le cagnard insupportable de midi, je repars le long du Mékong, vers le nord cette fois. Mon objectif principal, et c’est à peu près le seul centre d'intérêt touristique, est d’aller voir les dauphins Irrawady, une espèce rare à la tête très arrondie, qui baigne dans le Mékong près des 4000 îles au Laos, et à Kampi près de Kratie. Je roule plusieurs kilomètres sur une route étroite et chaotique, bordée tout le long de petites maisons. Une sorte de long village ininterrompu et plein de vie, des petits stands qui vendent des boissons sorties des glacières, ou de l’essence dans des bouteilles de Coca en verre.

Je fais un premier arrêt au pied d’une colline, au sommet duquel il y a un temple. Cela m’inspire moyennement, et le gérant de la guesthouse m’a dit qu’on risquait de me voler le scooter. Donc je poursuis tranquillement le long de la route, essayant de répondre à chaque sourire des adultes et à chaque Hello des enfants sur le bord, mais pour y arriver il faudrait rouler très doucement. J’arrive un peu trop vite au parking d’où l’on peut prendre le bateau pour voir les dauphins, et négocie le droit de m’asseoir face au Mékong avant d’acheter mon billet. Mais j’arrive à voir les dauphins depuis la rive, et le bonhomme qui gère l’entrée le sait bien, et m’oblige à acheter mon billet pour prendre le bateau. Sept dollars, c‘est un peu du vol, mais je suis là pour ça, donc je monte avec un vieux couple allemand, et la pirogue nous emmène pour un long moment à glisser sur l’eau, dans le calme absolu, au milieu du Mékong, traquant des yeux la respiration des dauphins en surface. C’est tout ce que l’on peut en voir, c’est une espèce de dauphins très calme et farouche qui ne saute jamais. J’arrive quand même à arracher une photo, et renonce à en prendre une meilleure pour profiter avec les yeux.




On finit par ne plus voir de dauphins, et c’est le soleil couchant qui prend la relève, agrémenté des silhouettes de pêcheurs, toujours dans un calme absolu. Retour sur la berge, j’enfourche le scooter et poursuis ma virée toujours plus loin de Kratie, le long de cette route-village interminable. Et plus j’avance, plus l’impression d’être un extra-terrestre s’accentue, les regards sont de plus en plus appuyés et surpris. Certains enfants lancent les Hello très enthousiastes, d’autres restent la bouche grande ouverte à mon passage. Nous sommes très près de Kampi, le site touristique dédié aux dauphins, mais ils ne voient quasiment aucun étranger ici parce que les étrangers justement vont à Kampi en tuk-tuk et repartent, sans s’aventurer au-delà. C’est vraiment une sensation géniale de déclencher autant de réactions rien qu’en passant en scooter.

Les maisons sont un peu différentes de celles au Laos, plus grandes et un peu stylées. Devant la plupart d’entre elles, il y a un épouvantail, je n’ai aucune idée de sa signification. Un lien avec le nouvel an qui arrive, une volonté de chasser les mauvais esprits ? Par contre il n’y a aucune explication à trouver à la grande mode du pyjama. J’en avais vu une ou deux à Kratie, mais ici dans le village, c’est bien la moitié de la gent féminine qui se balade en pyjama, des toutes petites filles aux vieilles femmes, en passant même par les adolescentes. Il y en a pour tous les goûts, tous les motifs.

Je m’enfile tout le chemin en sens inverse jusqu’à Kratie, en évitant les buffles qui traversent lentement, et me rends compte que le plaisir de sillonner cette route m’avait emmené bien loin. Comme partout en Asie, je vois des petits bouts de chou sur les scooters, soit sur le bout de la selle les mains posées sur le guidon, soit derrière et s’accrochant à leur maman avec leurs petits bras. On s’étonne après que rouler sur une moto soit une seconde nature … Devant de nombreuses maisons, je vois des panneaux de partis politiques bien en évidence, pour indiquer l’appartenance de celui qui habite là. Il faut croire que c’est le signe d’une démocratie florissante, même si le Parti du Peuple Cambodien est ultra-majoritaire.

Je repars manger sur les étals nocturnes au bord du Mékong, et je passe une soirée tranquille dans la guesthouse, pour me lever tôt et attraper le bus vers la mini-étape suivante, Kom Pong Cham. Après avoir bravé les intempéries du système de ventilation qui coule à grosses gouttes sur nos têtes, dans tout le bus, j’y arrive un peu avant midi, et découvre tout de suite une petite atmosphère très tranquille. Moi qui suis toujours réticent à prendre un mototaxi, et encore plus réticent à suivre leurs propositions de guesthouse, je me laisse rapidement embarquer par l’un d’eux, qui propose spontanément le vrai prix d’une course, et n’insiste pas pour m’emmener là où il veut. Assez rare pour être noté.

Pour la première fois en neuf mois, je m’installe dans un grand hôtel traditionnel et obtient une chambre excellente pour un prix aussi faible qu’ailleurs. Le Mékong passe juste devant, et un simple coup d’œil de chaque côté me montre la même petite ambiance qu’à Kratie. Je déjeune dans un petit restaurant tenu par un anglais, face à la rivière. Le genre de petit endroit sympa, qui se démarque des restaurants locaux sans être trop occidentalisé. Je demande au patron anglais si la vie ici n’est pas trop calme ici, il me répond que les gens sont très gentils et la vie lente, et que ça suffit. C’est amusant de voir qu’il y a toujours au moins un expatrié dans chaque ville moyennement touristique. Je partage largement ce choix de s’expatrier et démarrer une vie simple dans un pays pauvre que l’on aime, mais je me demande toujours si je pourrais m’installer dans une petite ville un peu endormie.

Après un tour en ville et au marché, je loue un vélo pour explorer l’île de Koh Penh, juste en face. Pour y aller, il faut emprunter un pont en bambou assez impressionnant, qui est reconstruit chaque année en saison basse. Le pont fait bien 800 mètres de long, on n’y croise que des vélos et motos, et il n’est effectivement fait que de bambou. La sensation est assez spéciale lorsque l’on passe dessus.




Sur l’île je suis en plein paradis, c’est un lieu atmosphérique. Des chemins interminables en terre parcourent l’île, bordés de maisons traditionnelles et de palmiers. Ces chemins sont parallèles mais séparés par de grandes plaines faites de rizières. Un petit réseau de chemins perpendiculaires traverse ces rizières et passe entre les maisons, permettant de passer d’un chemin principal à un autre et de se perdre dans ce labyrinthe. Mon passage déclenche beaucoup de regards et de Hello enthousiastes, adultes comme enfants, un adolescent me dit même « Welcome to Cambodia », et cette seule phrase résume tout ce que l’on peut voir dans les regards des cambodgiens : malgré les horreurs qu’ils ont enduré il y a 30 ans, malgré leur pauvreté subsistante, ils restent d’une gentillesse extrême, d’une nature positive, et montrent à quel point ils sont contents que les étrangers plus fortunés viennent visiter leur pays. Et quand on sort des sentiers battus, même très légèrement, ils sont encore plus étonnés et ravis.




Ce décor paradisiaque et cet accueil sans égal font de cette balade un vrai bonheur. Je passe devant un mariage, sono à fond et jeunes filles pomponnées en jaune ou rose de rigueur. Je traverse les rizières pour passer sur un chemin différent, et m’arrête sur un petit stand qui presse du jus de canne. A ce moment-là je ne déclenche pas encore trop d’étonnement de la vendeuse et des deux hommes à côté, mais rapidement une dizaine d’adultes et enfants convergent, comme par hasard, pour boire aussi du jus de sucre de canne. Je ne m’en rends pas compte tout de suite, d’autant qu’ils restent discrets dans leurs regards vers moi, mais il est évident qu’ils veulent tous boire un jus de canne à côté de l’étranger qui s’est assis là sans complexe.

Je m’attarde volontairement, trop content d’être là pour observer le spectacle local et être moi-même le spectacle. Une femme voilée apparemment musulmane – c'est assez rare pour le dire - s’arrête et dévoile les petits poissons dans le panier sur le porte-bagages, poissons qu’elle vend rapidement. C’est amusant comme la vie s’organise autour de petits commerces ambulants et informels, différentes personnes étant réputées pour différents produits. Deux filles pomponnées en jaune, invitées au mariage, passent en scooter, ignorant tous les regards à leur passage. Deux garçons d’à peine 10 ans passent aussi en scooter, malgré leur âge et sur un chemin défoncé. Une fille débarque sur un vélo trop petit, une autre sur un vélo trop grand, petit frère à l’arrière, et se font servir leur jus de sucre de canne. Je finis par dégainer l’appareil photo, mais cela fait fuir une fille, et je ne peux prendre personne d’autre au dépourvu, pour fixer l’instant, donc je garde cela dans ma mémoire, et finis par repartir. Cent mètres plus loin, je croise des stands de jus de canne sans aucun client.

Je pense savoir où je suis mais je garde un doute tellement l’île est grande, d’autant qu’une habitante, voulant probablement m’éviter un cul-de-sac, m’indique la direction inverse. Finalement je n’étais pas mauvais mais ces fameux chemins sont interminables. Tout le long je reçois toujours les Hello des enfants qui me tapent dans la main. Je finis par quitter l’île par le pont en bambou, à mon grand regret parce que j’aurais pu m’y balader toute la journée si j’avais su.

Je regagne la terre ferme et Kom Pong Cham, pour l’explorer rapidement avant qu’il fasse noir. Comme Kratie, c’est une ville paisible, au bord du Mékong, avec ses villas françaises aux façades noircies, marquées par le temps et l’impossibilité de les entretenir, comme un riche héritage qui s’encrasse, la parfaite image de l’Asie assoupie sous le soleil. Mais en cette fin d’après-midi, le bord du Mékong est très animé. Il y a beaucoup de monde sur la petite croisette, des vendeurs de jus, des stands pour manger, toute l’adolescence qui parade en scooters, un match de football sur le petit banc de sable en contrebas, beaucoup de femmes habillées en pyjama, une session de gymnastique collective avec un instructeur sur l’estrade et la techno commerciale à fond.




Je parcours cette croisette dans un sens et dans l’autre, sans me lasser de cette effervescence, et tombe finalement sur un petit resto qui ne ressemble à rien, tenu par un couple de français installé depuis huit mois. Ils me livrent le même diagnostic que l’anglais installé en face : la vie est simple, les gens sont gentils. Je profite du petit moment passé avec eux pour feuilleter un journal cambodgien en français. Je n’y lis quasiment que des articles parlant de la moralité à conserver, de l’interdiction éventuelle de certaines jupes à l’école, de couvre-feu pour les jeunes et de rafles policièes conséquentes à Phnom Penh. Voilà un pays qui se cherche dans la progression lente vers la « modernité ». Et je lis aussi que des voleurs ont été battus à mort par 300 personnes dans une rue de Phnom Penh.

Juste assez pour me poser des questions sur ce que je vais y trouver, puisque la capitale est mon étape suivante, après une bonne nuit dans mon hôtel impersonnel. On s’y retrouve demain (en temps de blog, pas en temps réel !).
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mardi 13 avril 2010

Ratanakiri ... a vu, et pis est parti

Je quitte le paradis de Don Det au petit matin, direction la frontière avec le Cambodge. Dans le bus je retrouve Rachel et Vince, et le boulet danois. Coïncidence, puisque je ne les ai pas croisés en 5 jours à Don Det. Au poste frontière, comme on pouvait s’y attendre, les douaniers cambodgiens nous rackettent de frais imaginaires pour arrondir leurs fins de mois, en nous donnant des explications honteusement cyniques. Vince essaie de discuter, de dire qu’il n’est pas dupe, et se voit répondre illico qu’il peut retourner au Laos. Comme je savais qu’il ne servait à rien de discuter, et que j’ai glissé le dernier dollar dans mon passeport, j’ai le droit à un bienvenue chaleureux en français et à un chewing-gum, va comprendre …

Enfin, me voilà au Cambodge, 11ème pays de mon voyage. Nous attendons un temps interminable à la frontière, et le bus reprend sa route jusqu’à Stung Treng, où je descends avec un couple de français et un bruxellois, tandis que l’essentiel des voyageurs poursuit rapidement vers les principales villes du pays. Notre but à tous les quatre est de rejoindre la ville de Ban Lung, dans la province de Ratanakiri, au nord-est du pays. C’est une région réputée pour ses treks dans la jungle, en plus d'un lac et de quelques cascades … Après avoir traversé le marché crasseux et écrasé de chaleur, fait connaissance avec la monnaie locale, et mangé-poireauté dans une guesthouse, nous attrapons un bus pour Ban Lung, déjà plein de locaux qui nous regardent monter avec beaucoup de curiosité. Nos sacs sont entassés au milieu de l’allée, créant un parcours d’obstacles pour atteindre nos places. Et le reste de l’allée est occupé par des locaux sur de petits tabourets en plastique. Aussi pourri soit le bus, on est contents d’avoir un vrai siège.




C’est parti pour trois heures trente de trajet, sur une route de terre qui secoue un peu mais surtout dégage une poussière incroyable, poussière qui s’insinue à l’intérieur du bus. Le paysage est bien sûr le même qu’au Laos, alternance de végétation anarchique et de terres brûlées pour gagner en surface cultivable. Les maisons traditionnelles diffèrent un peu, sont toutes en bois mais sans bambou, et sont toujours perchées sur des piliers pour éviter les inondations pendant la mousson. On passe devant toute une série de maisons identiques et régulièrement espacées, ressemblant à de grosses cabines de plage peintes en blanc. Après renseignement, ce sont des maisons attribuées par loterie aux anciens soldats ayant combattu les Khmers Rouges, pour repeupler des zones trop désertes.

Après avoir mangé notre quota de poussière dans le bus, et admiré le magnifique éclairage intérieur multicolore, nous arrivons en début de soirée à Ban Lung, où nous attend le gérant d’une guesthouse et quatre motos qui nous y emmènent. Une chambre double très correcte et propre à 3 $, ça s’apprécie. Je la partage avec Matthieu le bruxellois, ce qui la ramène à donc 1,5 $ chacun.

Première constatation frappante : de nombreux cambodgiens parlent un très bon anglais. Une fois que le gérant nous a fait le couplet sur ses treks organisés, dans un anglais parfait, c’est sa petite fille d’environ 6 ans qui prend notre commande au restaurant, dans un bon anglais et avec un aplomb impressionnant, ne répétant pas des phrases apprises par cœur. Une future pro du tourisme … Nous allons rapidement nous coucher, au bruit inévitable du ventilateur.

Le lendemain, je décide avec Benjamin et Chloé de louer un scooter, pour aller visiter le village d’une minorité ethnique et son cimetière très particulier. Matthieu ne peut pas venir, une belle chute en vélo lui ayant amoché le coude deux jours auparavant. Le temps d’avaler une soupe de noodles en guise de petit-déj’, et d’observer un présentoir à clopes « Alain Delon, the taste of France », nous louons nos scooters, faisons le tour de quelques agences proposant des treks, et nous mettons en route vers le nord. On nous avait promis une route difficile, nous sommes servis. C’est une route en terre plus ou moins tassée et stabilisée, avec des trous partout, une poussière monstrueuse vole en permanence, surtout lorsqu’une voiture nous croise à toute vitesse sans se soucier de nous, nous plongeant dans un nuage aveuglant et asphyxiant. Par moment, c’est même extrêmement glissant et ça nous donne des frayeurs, lorsque la terre est plus abondante et pas tassée. J’ai la chance d’être seul sur mon scooter, mais Chloé est assise derrière Benjamin, pas très heureuse pour le coup.

Nous arrivons au village de Cachon, et provoquons toujours plus de regards étonnés, ou simplement souriants. Les Cambodgiens sont visiblement contents de voir des étrangers, voire bouche bée lorsqu’ils vivent hors d’une zone touristique, et je n’ai pas fini d’en faire l’expérience. Cachon est au bord d’une très large rivière, laissant de grands bancs de sable découverts. Comme partout, des gens se lavent dans la rivière, les hommes en short et les femmes en sarong. Trois enfants arrivent et nous regardent assez fixement, ils n’ont pas dû voir beaucoup d’étrangers avant nous.

Nous trouvons un premier cimetière, mais un panneau nous demande de ne pas entrer ni de prendre des photos, pour respecter leurs croyances. Et le cimetière de Tampoen, le plus réputé, est également fermé au public. Coup de chance, nous croisons une moto conduite par un cambodgien, avec un occidental assis derrière. Le cambodgien est donc forcément un guide, nous les rattrapons et il nous propose de les suivre pour visiter le seul et unique cimetière accessible dans les environs, avec son client du jour, un jeune bruxellois très sympa. Commence une superbe virée sur un chemin de terre qui s’enfonce profondément dans la nature, loin du village de Cachon. Nous traversons deux petits villages, passons de vieux ponts inquiétants voire de simples planches en bois au-dessus de l’eau, et au bout de 30 minutes au milieu de nulle part, nous arrivons au bord de la rivière. C’est l’occasion d’enlever en partie l’énorme couche de poussière qui colle à notre peau et à nos vêtements. Nous prenons une petite pirogue instable pour la traverser, et de l’autre côté nous sommes accueillis par des villageois, surtout des enfants en train de se baigner joyeusement dans la rivière et deux ou trois adultes qui se lavent. Tous nous regardent fixement, pas habitués et intrigués.




Avec notre nouveau guide, nous partons explorer le cimetière, aussi surprenant qu’on nous l’avait prédit. Autour des tombes on trouve des statues en bois représentant le défunt, avec tous ses outils de la vie quotidienne : machette, téléphone portable (hé oui, même ici on en trouve), … Des pieds de buffle pendent au bout d’une ficelle, ils ont été coupés AVANT le sacrifice du buffle qui accompagne chaque enterrement, charmant. Et toutes sortes de décorations rustiques autour de la tombe. Le guide explique que les proches doivent venir pleurer le défunt pendant un an, suite à quoi ils s’arrêtent parce que l’esprit est censé s’être réincarné dans un nouvel être, après un passage obligé par l’enfer.




Nous visitons ensuite le village, impressionnant de pauvreté. Les familles sont très nombreuses, les enfants sont partout, et ils nous regardent comme des bêtes curieuses, en souriant mais en restant à distance. D’après le guide, le village a fait venir un instituteur pour faire l’école aux enfants, mais il est paresseux et refuse de faire quoi que ce soit. Tous les habitants sont sous leur maison, à l’ombre, sur des hamacs ou allongés sur une sorte d’estrade.




Nous poussons un peu plus loin, pour apercevoir une immense plaine de rizières asséchées, plantée ça et là de cabanes sur piliers. La montagne en face est supposée maudite, causant une chaleur insupportable et fatale à son sommet. Nous retraversons le village et la rivière en pirogue, et repartons à Cachon sur nos scooters par ce chemin, magnifique si l’on oublie les nombreuses terres brûlées. A Cachon le bruxellois et son guide repartent vers Ban Lung, et nous finissons par faire de même. A nouveau une heure et demie sur cette route de terre infâme, à essayer de respirer et voir devant soi, à croiser de gros 4x4 qui ne se soucient pas de nous. Ca me paraît d’ailleurs une constante dans les pays pauvres : sur la route, c’est la loi du plus fort ou du plus gros, les deux–roues doivent s’écarter rapidement pour laisser passer les gros véhicules, qui prennent peu de précautions pour les doubler ou les croiser. Je n’oublierai pas le taxi qui m’a quasiment envoyé au fossé au Vietnam …

Arrivés à Ban Lung, nous filons directement à Boeng Yeak Laom, un lac dans un cratère de volcan. Endroit magnifique, calme, serein, qui attire tous les locaux pour se rafraîchir. Et c’est quasiment propre, assez rare pour le souligner. Une douche serait difficilement venue à bout de notre couche de poussière, il n’y a que le lac pour se remettre du périple à moto.




Retour à l’hôtel où nous retrouvons Matthieu, et nous croisons un groupe de français qui revient du trek organisé par l’hôtel. L’organisation était moyenne, ce n’est pas un problème puisqu’il y a d’autres offres réputées en ville. Mais surtout ils nous expliquent que le trek a peu d’intérêt en ce moment, parce que tout est sec et grillé, alors qu'en principe c’est  une vraie jungle, humide et périlleuse comme il se doit. Benjamin et Chloé ne sont plus partants pour le faire, et je me range vite à cet avis. En deux temps trois mouvements, nous passons de la recherche d’infos sur le trek … à la réservation d’un billet de bus pour s’en aller. Il y a bien quelques cascades dans le coin, mais nous avons tous eu notre lot de cascades dans le voyage, et la sécheresse ne promet pas de fantastiques débits d’eau.

Après quelques bières sur un bout de trottoir avec les trekkeurs, un resto et une mauvaise nuit sur un lit dur, nous partons très tôt le matin vers l’arrêt de bus, en moto avec tous nos sacs, pour quitter prématurément Ban Lung et la province de Ratanakiri. Dans un tour du monde, il n’est pas facile de trouver le meilleur climat dans chaque pays, mais visiter l’Asie juste avant la mousson n’est peut-être pas la meilleure chose, tant la sécheresse se fait sentir et enlève leur beauté aux paysages et aux rizières. Et cette année la sécheresse est vraiment méchante, le Mékong n’a jamais été aussi bas. Le détour par Ratanakiri a pris du temps et de l’argent pour pas grand-chose, mais j’ai quand même fait une belle balade en scooter, et je sais où revenir la prochaine fois, plus tard dans l’année.

On se donne rendez-vous un peu plus bas, au bord du Mékong décidément omniprésent …
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samedi 10 avril 2010

4000 îles, 1 hamac, et moi

8 heures du mat’ à Pakse, je me retrouve dans le même mini-van que Rachel et Vince … et ma chère ex-coloc-boulet danoise, sans s’être concertés. Enfin c’était prévisible, puisque descendant vers le sud du Laos puis le Cambodge, la prochaine étape est évidente, incontournable. C’est Si Phan Don, autrement dit les 4000 îles. Sur 50 kilomètres, le Mekong s’élargit pour mieux laisser affleurer 4000 îles au milieu de son lit. De vraies îles, il n’y en a pas 4000, mais si l’on compte tous les îlots seulement peuplés par un peu de sable et de végétation, on avoisine probablement 4000.

Au bout de trois heures dans le van, genoux sévèrement calés contre le siège de devant, nous arrivons à Nakasang au bord du Mekong, et embarquons sur une petite pirogue instable. Dix minutes de traversée entre les îlots sauvages et très verts, et nous arrivons à Don Det, l’île qui a la préférence des backpackers au petit budget, alors que Don Khon, l’île voisine au sud, est un niveau au-dessus pour le confort et les prix. Don Det n’est traversée que par deux étroits chemins, l’un sur la rive « sunrise », l’autre sur la rive « sunset ». On ne peut circuler qu’à pied ou à vélo, et un scooter passe de temps à autre. Je me mets en recherche d’une guesthouse, pas très difficile puisqu’il y en a un nombre incalculable. Toute la rive « sunrise » est un alignement de bungalows rustiques et petits restaurants, de moins en moins rapprochés à mesure que l’on descend vers le sud, et intercalés par les maisons traditionnelles des locaux. Très touristique à première vue, sauf que le calme est parfait, la chaleur aidant, que l’on ne se fait pas racoler, et qu’il règne définitivement un petit goût de paradis.




Pour éviter de trop marcher avec mon sac sous le soleil, je prends rapidement une chambre dans une guesthouse, une simple maison qui ne surplombe même pas la rivière. A 3,5 $ la nuit, on n’est pas obligé de trouver la perfection tout de suite. Je me fais un petit resto familial qui surplombe le Mekong très lent. La famille vit là, assise ou allongée par terre, dans 4 m² à l’entrée du restaurant, l’image classique de la pauvreté laotienne. Je me balade un peu sur le côté « sunrise », et je retrouve Augustin, un espagnol que je croise partout depuis le nord du Laos. Je le rejoins pour une partie de pétanque contre un allemand et un hollandais qui étudient à Singapour. Nous perdons (normal, le terrain était mauvais) et devons payer la bière dans leur guesthouse. L’occasion pour moi de découvrir une guesthouse sympa, côté coucher de soleil, avec bungalow presque sur la rivière et salle de bains particulière (enfin, salle de bains … il faut le dire vite), au même prix. Je débarque donc le lendemain matin avec mon sac, et prends le bungalow d’Augustin qui part pour le Cambodge.




Après avoir testé le crasseux mais confortable hamac, je pars avec Roland et Roderick, l’allemand et le hollandais, pour une petite virée à vélo. Nous descendons toute l’île de Don Det par le côté sunrise, traversons l’ancien pont français qui a gardé toute sa classe, et arrivons sur Don Khon après avoir payé le péage-racket. Nous sortons du village principal et roulons sur un chemin caillouteux à travers les rizières asséchées vers la cascade Li Phi. Belle cascade qui traverse un univers de roches déchiquetées, curiosité géologique dans cet univers d’îlots sableux et verts.




Nous retournons vers le « centre », au nord de Don Khon, passons devant quelques anciennes villas françaises, soit dévastées soit rénovées en hôtel, et nous basculons du côté sunrise pour une balade magnifique. Nous traversons un village modeste, qui ne compte aucune guesthouse pour touriste mais que des habitations traditionnelles et pauvres. On sent déjà la différence avec Don Det et Don Khon, les habitants sont légèrement plus curieux à notre passage et les enfants ravis de dire « sabaydiii », certains nous tapant dans la main. Leurs maisons étant surélevées par des piliers, ils passent toute leur journée en-dessous, sur des hamacs souvent, pour se cacher du soleil et profiter d’un peu d’air. Nous passons devant d’anciens murs bâtis par les français dans la rivière pour canaliser les troncs d’arbre, et nous enfonçons dans la partie plus sauvage de l’île.
Il fait une chaleur de bête, nous sommes maintenant seuls sur le chemin. Le Mékong est de plus en plus immobile, complètement stagnant à certains endroits pour le bonheur des buffles qui pataugent jusqu’au cou.




Nous dévalons le chemin un peu pentu et très caillouteux sur nos vélos de fillette, passons des petits ponts en bois, et traversons un hameau d’une pauvreté impressionnante, les habitants ont l’air encore plus curieux en nous voyant passer. Finalement nous arrivons à la pointe sud de l’île, dans un petit village toujours aussi pauvre, et le traversons jusqu’au bout à la recherche d’un petit resto familial qui aurait vue sur le Mekong. Nous le trouvons, et découvrons un paysage étonnant. Au sud de Don Khon, le Mekong est très large, parsemé de rochers et de bois mort, quasiment immobile et plaqué par un soleil encore plus impitoyable. A 500 mètres, sur l’autre rive, c’est le Cambodge. Paysage impressionnant.




Nous accusons le coup sous le cagnard, mais l’eau est très stagnante et la baignade peu attirante. Le temps de faire marcher le commerce local et le petit resto familial, avec les enfants se baladant tout nus au milieu des canards et poulets, nous reprenons les vélos et repartons en sens inverse, à travers le hameau très pauvre et oublié du tourisme, le chemin désert, le petit village et ses enfants, et le village plus touristique au nord de Don Khon. Des palmiers, peu de touristes, de belles photos, et un bien-être indescriptible. Un tour en vélo que je referai à l’identique trois jours plus tard, tant la sensation y est spéciale.

Nous retraversons Don Det jusqu’à la guesthouse, et je décide de pousser la balade plus loin, malgré les poignets endoloris par la position peu ergonomique du guidon-fillette. Je descends le côté sunset pour trouver la connexion avec le côté sunrise, et découvre un côté beaucoup plus sauvage, composé presque uniquement d’habitations traditionnelles, habitées par des familles ne vivant pas du tourisme, entre le Mékong et les rizières asséchées à perte de vue.




Je fais un petit resto avec Roland et Roderick, et nous ne trouvons pas grand-chose à faire. Les 2 ou 3 cafés un peu plus « cool » sont vides, même celui qui propose des « happy shakes » (au secours c’est l’effet Vang Vieng qui s’amorce !). Retour à la guesthouse, pour tchatcher avec la fille de la vieille patronne, qui passe sa douzième heure de la journée dans son hamac à regarder des comédies thaï terriblement kitsch. Et je vais m’endormir dans mon hamac, avant de me réfugier dans mon bungalow pour échapper aux moustiques. Le lendemain Roland et Roderick s’en vont. Dans la guesthouse il reste encore l’italienne Marianna que je connais un peu. J’entame trois jours de farniente, suivant un rythme quasi-immuable :

aller de mon lit au Mékong pour nager et profiter du calme du petit matin ;

petit-déjeuner d’un gâteau de riz à la noix de coco et d’un shake à l’ananas ;

passer deux ou trois heures dans mon hamac pour gérer mes photos, écrire, ou lire le Lonely Planet du Cambodge ;

me balader à pied ou en vélo sur les petits chemins autour de Don Det ;

taper dans la main des enfants à vélo ;

me trouver un petit resto simple pour déjeuner ;

acheter ma troisième bouteille d’eau de la journée ;

retrouver mon hamac pour lire un petit roman en français trouvé dans la guesthouse ;

boire un énième shake à l’ananas ou menthe et noix de coco ;

nager dans le Mékong dans la torpeur de l’après-midi ou pendant le coucher de soleil ;

nager jusqu’à l’îlot d’en face, m’asseoir dans l’eau pendant trente minutes et laisser les petits poissons tâter de quoi je suis fait ;

prendre la même photo pour la cinquième fois parce qu’elle est vraiment belle ... et que j’ai oublié que je l’avais déjà prise ;

observer le pêcheur qui lance ses filets depuis sa pirogue ;

dîner tranquillement au restaurant de la guesthouse ;

tchatcher avec la fille de la patronne, habituée à sa vie de farniente mais qui n’est pas contre un peu de divertissement ;

me réinstaller dans mon hamac dans l’obscurité, pour regarder un film sur mon notebook ;

imiter la petite fille qui vend des samoussas, pour transformer sa gentille insistance commerciale en un grand rire ;

… ;




Un matin je me décide à partir le lendemain et j'achète mon ticket de bus … pour changer d’avis le soir même parce que j’ai trouvé un nouveau livre en français et que j’ai besoin d’une nouvelle journée dans mon hamac crasseux.

Je finis quand même par m’en aller le surlendemain, un peu à regret parce que je quitte un petit paradis. C’est un peu touristique, mais le rythme de vie y est encore plus lent que dans tout le Laos, et on est cerné de tous côtés par le majestueux Mekong. Je quitte donc un paradis, et le Laos en même temps, qui est un petit paradis en lui-même. Ce pays est mon coup de cœur absolu dans ce voyage, je n’y ai trouvé aucun défaut. Ses habitants ont une mentalité exemplaire, ils sont gentils et chaleureux sans excès, sincères. Ils ne sont pas motivés par l’argent des étrangers alors qu’ils auraient des raisons de l’être. Ils fixent leur prix et ne veulent pas discuter, quitte à ne pas vendre ou à garder leur guesthouse vide. Ils gardent leur rythme de vie très lent et sans stress, et refusent de le changer pour gagner quelques kips de plus. Ils restent apparemment lucides sur les risques du développement touristiques, et stoïques quand ils en voient quelques mauvais effets.

Il faut espérer qu’ils restent comme cela, même s'il faut aussi qu’ils résorbent une part de leur pauvreté. Lorsque je vois Luang Prabang, perle de l’Asie forcément touristique mais tout de même préservée, Muang Ngoi et les 4000 îles qui restent paisibles malgré les nombreux restaurants et guesthouses, je me dis que c'est possible

Le pays n’est pas grand, et sortir des sentiers battus pas toujours évident, mais je suis quand même passé à côté de certaines belles choses. Il faut donc revenir vite, avant que ce pays ne change. J’ai enlevé l’Inde et le Népal, pour les remplacer par le Laos et le Cambodge, et le but de ce changement de programme était entre autres de voir tout de suite des pays encore authentiques. Pour le Laos, c’est zéro faute, le Cambodge ne devrait pas décevoir non plus …

Je quitte donc le paradis de Don Det au petit matin, après un grand hug avec Mama et sa fille qui tiennent la guesthouse. Sur le chemin la petite fille aux samoussas accourt pour me dire « Bye bye ». Je ne lui ai peut-être pas acheté beaucoup de samoussas, mais on a bien ri à chaque fois que je suis passé devant. Je monte dans la pirogue bien chargée en backpackers et bagages, et nous regagnons la rive à Nakasang, petite ville pleine d’agitation commerciale. Nous montons dans le bus, et direction la frontière avec le Cambodge.

Sabaydiii !
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mercredi 7 avril 2010

Easy Rider in Pakse

Après trois jours très improductifs à Vientiane, ville agréable mais pas très excitante, je monte dans un tuk-tuk avec d’autres backpackers, direction le terminal pour prendre un bus de nuit vers Pakse, beaucoup plus au sud. Pour avoir eu un trajet de nuit très difficile au Vietnam, je sais à quoi m’attendre, mais qui sait, ça pourrait être pire … Et ça l’est ! Au lieu d’avoir trois rangées de couchettes simples, le bus a deux rangées de couchettes doubles, extrêmement étroites. Pour les couples ça passe, mais je plains ceux qui se retrouvent avec un voisin inconnu. Je m’en tire un peu mieux, je me retrouve encore tout au fond du bus, avec cinq couchettes juxtaposées. Je suis coincé dans le coin arrière, contre la vitre, mais au moins je n’ai qu’un seul voisin, et un asiatique en plus donc pas bien large d’épaules, ce qui permet de garder dix précieux centimètres d’espace vierge. Maintenant il faut s’endormir, allongé sur le dos, les bras repliés sur le ventre pour éviter un contact rapproché avec le voisin, la tête coincée contre le coin en plastique et à cinq centimètres de la vitre. La position parfaite pour s’endormir, quoi ! Sans oublier que la route est chaotique ...




Par je ne sais quel miracle, j’arrive à dormir deux ou trois heures, et nous arrivons à Pakse à 6h du matin. Dès la sortie du bus, je rencontre Rachel et Vince un couple de britanniques, et Janet une danoise. Nous trouvons un hôtel vraiment pas terrible, et pour payer moins cher Janet me propose de partager une chambre. Je me demanderai rapidement pourquoi, vu son comportement antipathique (et sa voix insupportable, son rire stupide, ses fréquents airs d’attardée … j’arrête là). Enfin Rachel et Vince sont sympas, eux, et c’est bien pratique de rencontrer du monde ici pour les jours à venir. La ville de Pakse n’a quasiment aucun intérêt en elle-même, sinon d’être un point de départ parfait pour le Plateau Bolaven tout proche, qui promet une belle virée en scooter.

Sans même aller dormir, nous nous renseignons sur les prix de location de scooters, tous plus neufs les uns que les autres et au prix ridicule de six dollars. C’est réservé pour le lendemain, pour une virée de trois jours sur le Plateau. Et histoire de gagner du temps sur la suite du voyage, je décide avec Rachel et Vince de prendre le scooter tout de suite pour aller visiter Champasak, les ruines d’un temple réputé à 40 kilomètres. C’est donc parti pour une nouvelle virée, la banane au visage malgré la nuit presque blanche. Et malgré le soleil qui brûle encore plus qu’à Vientiane, c’est l’escalade.

La route n’est pas la plus exotique, une route bien faite et droite avec un peu de trafic, mais même au Laos la route la plus importante reste un vrai spectacle, avec ses maisons précaires en bois et bambou, et la vie locale toute en simplicité et en lenteur. Je m’amuse à dépasser des bus locaux, provoquant l’étonnement ou l’amusement des locaux tassés à l’intérieur. Nous nous engageons sur une route plus petite et pleine de trous, et arrivons à l’embarcadère du ferry. Par embarcadère il faut entendre une simple petite plage de terre ocre, et par ferry une simple plateforme posée sur trois coques, qui permet aux véhicules et piétons de traverser le Mékong. Et autour, quelques bicoques de bois pour vendre boissons et snacks.




La traversée est rapide, sur l’autre rive un autre embarcadère aussi simple nous accueille, et nous parcourons la petite mais très étendue ville de Champasak, une seule rue longue de dix ou quinze kilomètres. Nous passons devant des temples, écoles, maisons traditionnelles, deux ou trois splendides villas françaises, des habitants assez curieux à notre passage, et nous arrivons au temple de Champasak. Quelques centaines de mètres en scooter et à pied, et nous déchantons rapidement : deux palais en cours de restauration, non visitables et qui n’ont gardé que les murs extérieurs, un grand escalier qui se gondole avec le temps, un petit temple à flanc de montagne avec une statue de Bouddha, et c’est quasiment tout. OK on a une belle vue à des kilomètres à la ronde, bien qu’embrumée par les feux lancés par les paysans juste au-dessus de nous, mais je ne comprends pas bien pourquoi mon bouquin en dit tant de bien. Ce temple est supposé avoir été un préliminaire à Angkor Wat, le célèbre temple du Cambodge, donc on pense que l’on verra quelque chose du même style en plus petit, et en fait c’est assez inconsistant. On y consacre une journée et pas mal de frais, si l’on ajoute tout. Enfin il reste le plaisir de la virée en scooter pour se consoler.



Je perds la trace de Rachel et Vince dans le village, et alors que je m’arrête pour déjeuner dans un petit resto local, j’entends des pétards et je vois des dizaines d’hommes marcher sur la route. A leur façon de s’avancer et de faire du bruit, on pourrait presque prendre peur et croire à un raid punitif. Il sont précédés d’une sorte de moine à la tenue inhabituelle, encadrés par deux policiers qui exhibent leur mitraillette tels des miliciens, et suivis d’enfants qui lancent des pétards sur les bords, et des poignées de terre et de graviers sur les toits en tôle des maisons. Je m’écarte un peu du bord avec mes couverts, ne sachant s’ils vont profiter de leur marche pour « se faire » un touriste, mais je n’échappe pas à un ou deux graviers tombés du toit. Je les regarde en essayant de comprendre ce qu’ils font, et eux me regardent à la fois curieux de voir un étranger et amusés de me mêler un peu à leur tradition. Comme personne ne parle vraiment anglais dans le resto, je ne saurai pas ce que signifie cette procession, mais quelques minutes plus tard je la recroiserai en scooter, sans prendre de graviers cette fois.




Je traverse ce beau et long village de Champasak dans l'autre sens, je reprends le ferry cette fois plein de touristes asiatiques dans leurs rutilants 4x4, mangeant les bols de noodles servis par une laotienne et sa cuisine ambulante en équilibre sur son épaule. Autour, de nombreuses petites embarcations, toutes précaires. Soit des bateaux de pêcheurs soit des bateaux qui font traverser les piétons et scooters pour quelques milliers de kips.

Je m’enfile les trente derniers kilomètres sans m’arrêter, sans réussir à me rafraîchir tellement le vent est chaud. Je retrouve finalement Rachel et Vince qui m’ont cherché aussi, mon antipathique colocataire, et passe la soirée entre un cybercafé et une terrasse de resto avec deux flamands rencontrés dans le bus la nuit dernière. Après une nuit très moyenne sur un matelas en béton, et avec tout le bruit dû aux fenêtres qui ne ferment pas, nous partons donc à quatre sur les routes du Plateau de Bolaven. Ce Plateau est réputé pour offrir de belles virées en scooter à travers la campagne, rythmées par le spectacle de belles cascades et par les plantations de café.

Nous faisons quelques kilomètres sur une grande route, dans une chaleur plus supportable que la veille, nous passons le péage où l’on nous applique la gratuité pour les motos sans tentation d’arnaque, et nous bifurquons en direction de Tat Lo, l’objectif de fin de journée. Nous nous arrêtons à la première cascade, très belle malgré le manque d’eau. On en trouve en fait une deuxième plus loin, cachée dans les arbres, et un petit village peuplé par une minorité ethnique. Ils vendent un peu d’artisanat mais sans insistance, et aucun touriste ne se balade ici, malgré le bus garé sur le parking. Impression d'une vie à l'arrêt.





Retour sur les scooters, nous reprenons la route, belle et goudronnée mais quasi-déserte. Nous traversons des petits villages traditionnels, qui ne nous étonnent plus mais dont on ne se lasse pas. D’autant qu’ici ils paraissent encore plus pauvres qu’ailleurs. Je trouve difficile au Laos de déceler la pauvreté profonde et subie, de la pauvreté « normale », celle en phase avec le niveau économique du pays et dont ils paraissent se contenter. En quelques kilomètres sur cette route, d’un village à l’autre, j’ai l’impression de passer de l’un à l’autre, d’un niveau de vie vraiment en dessous de ce qui serait acceptable à un niveau qui reflète l’envie de vivre au ralenti sans rien attendre. Je vois des gens qui paraissent bien se porter, qui ne sautent jamais sur le premier étranger venu pour lui vendre quelque chose, qui vendent leur nourriture et leurs boissons à des prix très honnêtes, et dix minutes plus tard je croise un enfant qui me réclame un stylo pour l’école.

Nous nous arrêtons dans un petit resto familial de bord de route pour une soupe de noodles, jetons un œil au minuscule marché de l’autre côté, et repartons. Comme Tat Lo n’est pas bien loin, et qu’il n’y a rien de spécifique à voir sur la route, nous décidons d’y aller chacun à notre rythme sans forcément nous attendre. Vu ma tendance à m’arrêter tout le temps pour prendre des photos, ça vaut mieux pour eux. Ma première pause est pour une partie de pétanque, sur un vrai terrain devant une maison. Ce serait un des passe-temps préférés des Laotiens, un vieil héritage de la colonisation française. L’un des joueurs pourrait se faire passer pour un joueur marseillais pur sucre, avec son tee-shirt remonté au dessus de son gros bide ( d’ailleurs les gros bides sont rares ici, les laotiens sont quasiment tous athlétiques, fins-secs-musclés).

Je ne m’arrête finalement plus beaucoup jusqu’à Tat Lo, où je fais le plein en urgence, et un premier repérage des lieux avant que les trois autres ne me rejoignent. Depuis la route principale il faut s’enfoncer dans le village et un début de forêt, pour trouver les quelques guesthouses le long d’un chemin de terre. Nous prenons une guesthouse basique au bord de la rivière, tout près des belles chutes Tat Hang.




J’ai évidemment l’immense plaisir de partager un bungalow avec ma chère coloc-boulet. Après avoir attendu qu’une mama nous serve dans son petit resto (une heure et demie montre en main, apparemment elle est célèbre pour ça), nous montons aux chutes Tat Lo, encore plus belles si ce n’est que le débit d’eau a dramatiquement chuté en deux heures, probablement l’effet d’une centrale hydroélectrique en amont. Pendant que nous nous délestons de notre belle couche de poussière dans une des piscines naturelles, un guide et son client se baladent dans l’eau à dos d’éléphant. Avant qu’il fasse complètement noir, nous poussons un peu plus haut en scooter pour voir les chutes de très près, et même du bord. De retour à la guesthouse pour une douche et un dîner, la fatigue des mauvaises nuits et du scooter me pousse au lit à 21h … enfin si le boulet qui me sert de coloc’ ne me faisait une crise parce qu’elle a vu un gros lézard dans la chambre. Un garçon de l’hôtel s’arme d’un bâton taillé et fait mine de le chasser. C’est ça, essaie toujours de l’attraper derrière mon lit ! Je m’endors vite sans crainte d’être câliné par le lézard, et le lendemain matin le boulet antipathique me dit qu’elle a entendu le lézard toute la nuit, ce qui l’a empêché de dormir. Je réprime un sourire …

J’engloutis un énorme petit-déjeuner, et pars découvrir le village en attendant que Rachel et Vince se lèvent. Petites scènes de la vie quotidienne, et matinale, d’un village au Laos : des adultes se lavent dans la rivière, les hommes en short et les femmes en sarong ; une jeune fille trie le riz ; les enfants sont à l’école, dans la classe unique et très aérée ; une petite fille me fait un énorme sourire sans bien sentir ce qui lui sort du nez ; deux enfants comparent leur fusil en bois à côté de papa qui travaille ; les habitants que je croise me répondent « sabaydii » avec un demi-sourire, mi-pudique mi-curieux. Un éléphant fait sa balade matinale au pas de course avec son maître sur le dos.





Je retrouve les autres, et nous repartons en scooter, direction la troisième chute Tat Hung à l’extérieur de la ville. Quelques kilomètres et nous arrivons dans un village vraiment très pauvre, à croire que les villages sont hermétiques et que le niveau de vie ne s’homogénéise pas d’un village à l’autre. Les gamins nous abordent en criant « waterfall » et nous pressent de nous garer là et de les suivre. Je sens qu’ils attendent un billet, c’est le genre de visite guidée un peu forcée que je voyais plus au Vietnam, mais rien de bien méchant. Les trois autres ont apparemment peur d’y aller et m’attendent sur la route, c’est donc seul que je suis les enfants à travers le village, qui paraît encore plus pauvre en son cœur. C’est un peu intimidant de croiser les adultes, qui ne me dévisagent pas mais ne sourient pas vraiment, notant forcément l’énorme décalage de richesse. Je finis par apercevoir la chute au loin, très haute et énorme mais quasiment sèche. Je fais demi-tour et retrouve les autres, et nous repartons pour une journée de scooter à travers le Plateau. De plus en plus, les enfants que nous croisons nous font signe, et lancent des « Hello » ou des « Sabaydii » avec de grands sourires, certains en bel uniforme d’écolier, d’autres trop jeunes pour aller à l’école. Quelques courts arrêts photo plus tard, nous faisons une vraie pause pour visiter un marché, mi-moderne avec ses coiffeurs et ses stands de vêtements et chaussures, mi-exotiques avec ses stands de fruits multicolores sur un terrain en terre ocre. Un bus démarre avec un scooter chargé à côté du chauffeur, des femmes essaient de vendre de la nourriture aux passagers qui ont la vitre ouverte (petit souvenir d’Equateur …).

Nous repartons sur la route toujours aussi agréable, doublant des bus locaux ou des camions qui nous suivent des yeux au passage, et dans le village suivant nous avons la chance de passer à la sortie de l’école. Des dizaines et des dizaines d’enfants en uniforme, de chaque côté de la route, forment sans le vouloir une haie d’honneur et nous lancent des « sabaydii » déchaînés. Derrière moi, Rachel et Vince se risquent même à leur taper dans la main touten roulant. C’est bien simple, depuis deux heures j’ai l’impression de rouler d’une seule main, l’autre toujours en train de dire bonjour.

Arrivés à Paksong, nous déjeunons dans un petit resto familial et très chaleureux, accueillis par la patronne et divertis par le petit dernier qui se montre très curieux. Quelques centaines de mètres plus loin, nouvel arrêt dans un café familial pour le principal intérêt du plateau Bolaven : son café. Ce sont les colons français qui ont décidé dans les années 1900 que le Plateau Bolaven serait un lieu de plantation parfait pour le café, puis tout fût bombardé par les américains pendant la guerre du Vietnam, puis tout fut repris, mené surtout par des grandes entreprises. Aujourd’hui des initiatives de commerce équitable voient le jour, ce qui ajoute au plaisir de goûter à ce café excellent.

Nous sommes attablés à ce café, devant nous une jeune femme de la famille fait griller ses grains de café, nous permet de les sentir et d’en croquer un ou deux, et enfin nous sert un Arabica à mourir. Difficile d’obtenir un café plus frais, il vient d’être fait, à l’instant.




Nous reprenons la route, passons devant des plantations de café et même de thé bio, et nous arrêtons à la cascade Tat Yuang. Encore une cascade très belle, dans un cadre très vert, mais il y a peu d’eau. A la sortie du chemin chaotique, je perds de vue Rachel et Vince ... puis Janet mais c’est moins grave. Tout en tapant dans la main de deux petites filles ravies, je roule jusqu’à la cascade suivante Tat Fan, en fait une double chute absolument vertigineuse, puisque deux torrents parallèles se jettent dans une véritable abysse, un trou au milieu de la montagne. Je profite du café désert qui surplombe l’abysse, et je repars, cette fois direction Pakse sans arrêt prévu.




L’après-midi est déjà bien avancée, face à moi le soleil se fait plus bas et légèrement rougeâtre. Dans cette belle lumière et ce temps toujours chaud, j’enfile les kilomètres avec un bon reggae dans les oreilles, pour un dernier ride jouissif. Peu de signes aux enfants et pas de photo, à cette vitesse il vaut mieux éviter. Une petite sensation d’Easy Rider m'envahit, il ne manque plus que les mouches écrasées sur les dents …

Retour à Pakse, je change d’hôtel pour un dortoir ultra-clean d’un très bon hôtel, je recroise Rachel et Vince qui ne comprennent pas non plus comment on a pu se rater, recroise le boulet qui a pris seule une chambre chère et pourrie dans l’ancien hôtel, et profite de la soirée pour mettre à jour le blog. Demain matin il faut partir déjà, direction le paradis …

Sabaydiiii !
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