Je suis reparti en Argentine ! Bientôt le nouveau blog ...
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samedi 28 novembre 2009

El Calafate, Patagonia siempre

J’attrape le bus jeudi matin avec Séverine et Rémy, direction le sud, toujours le sud. Direction El Calafate, le cœur de la Patagonie et l’un de ses lieux mythiques. Les voyageurs qui ont déjà fait ce trajet nous promettent un voyage apocalyptique : 30 heures de trajet, en partie sur un chemin de terre parce que la fameuse Ruta 40 est en travaux.

Et effectivement c’est rude : très rapidement on quitte les lacs, la route est étroite et en triste état, au milieu de la steppe inhabitée. Chaque croisement avec un camion ou un autre bus fait peur, il arrive que l’un d’eux fasse un appel de phare parce que notre bus louvoie et tangue comme un bateau sur les ondulations de la chaussée et les nids de poule. On arrive sur la partie en construction, et on roule sur le côté, sur un chemin en terre invraisemblable pour un bus moderne de ce gabarit. Ils n'ont peur de rien les latinos ! En matière de transports, cela fait plus de quatre mois que je le constate. Je repense surtout au trajet entre Potosi et Uyuni en Bolivie, six heures éprouvantes au milieu de nulle part.

Des oiseaux jaunes et noirs volent ensemble d’arbre en arbre, en groupe très serré. Le paysage devenu habituel se déroule à nouveau, de grandes plaines vertes et jaunes, parsemées de grosses touffes, traversées par une petite rivière, délimitées quand même par des grandes collines ou des petites montagnes. De temps en temps on voit quelques vaches qui paissent, dispersées sur des distances énormes, quelques flamands roses qui me rappellent encore la Bolivie. Malgré la monotonie, l’immensité et la pureté en font un cadre particulier.

Nous nous arrêtons dans une petite ville un peu vide, triste, au milieu de nulle part. Je suis immédiatement séduit par cet endroit qui n’a rien pour plaire. Rues larges et quasi-désertes, en terre, systématiquement bordées de troènes tristes, peints en blanc poussiéreux à la base. Deux vieux pick-ups poussiéreux garés tous les 200 mètres. Quelques personnes sur les trottoirs de la route principale, des ados surtout. Qu’est-ce qu’ils peuvent bien faire ici, comment gardent-ils le sourire ?

Il y a un magasin tous les deux pâtés de maison : vêtements, matériaux de construction … des petites boutiques dérisoires qui constituent une maigre distraction. Une Clio assez récente garée à côté d’un bon vieux pick-up, une sorte de résumé du parc automobile argentin. Cette ville est un parfait de décor de cinéma, pour un film lent, spécial, décalé … dépressif. Je pense à « Paris, Texas » de Wim Wenders, bien que le décor soit complètement différent.



Il faudrait y rester deux ou trois jours, accepter de s’y ennuyer mortellement, pour voir comment ce lieu fonctionne, comment les gens y vivent, leur rythme, leurs distractions s’il y en a. C’est assez rare pour le dire, je ne suis pas le seul à trouver un intérêt, photographique au moins, à ce lieu triste : Séverine aussi y trouve un magnétisme particulier et un sujet à de belles photos.

Après cet arrêt habilement orienté par le chauffeur vers un « restaurant » en particulier, nous reprenons la route et gagnons un peu de relief. Nous nous engageons dans un canyon, aux teintes jaunes-oranges. Plus loin de petits peupliers sont tous penchés du même côté, comme au garde-à-vous. Malgré l’immensité de la Patagonie, on voit des clôtures quasiment partout le long de la route. Cet espace appartient donc à des estancias qui y laissent paître le bétail. C’est le cadastre qui doit s’amuser …



Après un beau coucher de soleil qui joue avec les nuages, nous entamons la nuit. L’arrivée n’est pas encore à l’horizon … Au réveil, le décor est toujours parfaitement plat et vide, seules les grosses touffes d’herbe témoignent d’un peu de vie, puis trois chevreuils, un aigle posé sur une clôture. Le bus fait une pause à Rio Gallegos, au bord de l’océan atlantique. Je comprends mieux pourquoi le trajet prend 30 heures, nous avons quitté Bariloche au bord de la Cordillère des Andes, pour relier El Calafate également au bord de la Cordillère des Andes, en faisant un crochet par l’océan atlantique !

Quelques heures après nous arrivons enfin à destination. La route descend soudainement dans une vallée, avec au fond les montagnes enneigées qui refont leur apparition. Une autruche regarde les bus passer (j’ai rêvé ?!?). Je suis surpris, il ne fait pas vraiment froid. Nous avons fait plus de 1000 kilomètres à vol d’oiseau vers le sud, depuis Bariloche où l’air était déjà glacial, et ici il fait bon, malgré les montagnes enneigées qui nous entourent. Mal guidés, nous atterrissons, Séverine, Rémy et moi, dans un hôtel un peu quelconque. Tant pis nous ne sommes pas là pour longtemps. El Calafate est une petite ville touristique au bord du beau Lago Argentino. La ville n’est ni belle ni laide, un peu quelconque et envahie par les agences, magasins de chocolat, magasins de matériel de randonnée.

Dès le lendemain matin, nous prenons le bus pour le site-phare, la référence « neumebeure ouane » en Patagonie : le Perito Moreno, gigantesque glacier qui baigne dans un lac. Une petite tempête de neige refroidit notre enthousiasme dans les derniers kilomètres, mais c’est finalement sous un temps apaisé que nous arrivons sur le site. Nous découvrons le lac, dans lequel flottent de petits icebergs aux formes diverses. L’eau est laiteuse, les icebergs blancs-bleus le plafond nuageux est très bas, les montagnes autour du lac sont maquillées de brume. Le contraste eau-icebergs-montagnes-nuages est magique, dans le calme. Un regard à gauche, et nous tombons nez à nez avec le monstre de glace. Gigantesque, brillant malgré les nuages qui cachent le soleil.
Lieu mythique n°5 atteint.



Le Perito Moreno est l’un des rares glaciers au monde qui avancent, et comme il vient buter sur la terre ferme, séparant les deux lacs qui le bordent. L’un des lacs est plus haut que l’autre, et la pression de l’eau sur le glacier provoque son effondrement dans une explosion ahurissante. Le phénomène se passe de façon irrégulière : tous les ans, deux ans, voire plus. Les scientifiques sont incapables de prévoir quand se produira le prochain effondrement.

Cette « butée » sur la terre ferme permet aussi de le voir de très près, sans bateau, et c’est ce qui fait le succès du Perito Moreno par rapport à d’autres glaciers. 60 mètres de hauteur pour 5 kilomètres de largeur … et 30 kilomètres de long. Nous sommes dans le Parque de Los Glaciares, et certains sont encore plus grands. Ma première pensée va au Spitzberg, dans le Cercle Polaire Arctique, où j’avais passé dix jours au bord d’un glacier du même gabarit. De gigantesques blocs de glace tombaient toutes les cinq minutes, créant un bruit de tonnerre auquel on finissait par s’habituer. Et il fallait rapidement mettre le kayak face à la vague pour éviter de finir dans l’eau glacée.

Ici malheureusement, il est rare que des gros blocs se détachent. Mais des petits morceaux souvent, qui font tout de même un sacré bruit. De temps en temps c’est un iceberg qui se fend en deux, son centre de gravité est alors modifié et il se retourne violemment dans l’eau, dans le même grondement sourd pendant de longues secondes, jusqu’à ce qu’il trouve sa nouvelle position d’équilibre, découvrant maintenant la partie qui était immergée, bleue et claire comme le cristal. Sur la façade du glacier, des pics immenses sont à moitié décrochés, menaçant de s’effondrer, mais il faudra encore bien du temps pour que cela se produise.



En atteignant les passerelles supérieures, on découvre le dessus du glacier, splendide, immense, dont on ne voit évidemment pas le bout. C’est un champ de crevasses, peuplé de pointes glacées hérissées comme des dents. Nous déclinons la marche sur le glacier, qui se fait sur le côté. Le prix est un peu cher pour le peu de temps proposé et j’avais déjà goûté à ce plaisir au Spitzberg, d’une manière beaucoup plus libre et pendant plusieurs heures.

En parcourant inlassablement les passerelles, photographiant pour la trente-quatrième fois la même chose, j’entends loin derrière moi « Ni-co, Ni-co ! ». C’est blindé de français ici, ça ne doit pas être pour moi. Je me retourne quand même, ah ben si c’est pour moi ! Revoilà Emilie et Hervé, croisés et re-croisés depuis Sucre en Bolivie. J’avais pris de l’avance mais ils m’ont rattrapé, et voyagent maintenant à quatre. Je venais d’écrire la veille sur leur blog qu’on était peut-être dans le même coin. Une coïncidence de plus, j’arrête de les compter. C’est l’occasion d’un bon resto le soir à El Calafate, une table de sept français, rien que ça !

Avant de rentrer à l’hôtel, petit détour par le stade pour voir à quoi ressemble la Fiesta de El Calafate. C’est un concours de rodéo en fait, mais avec des chevaux pas du tout sauvages, que l’on maltraite pour les exciter. On s’en va rapidement donc, la souffrance des chevaux dépasse largement le spectacle.

Le lendemain nous prenons déjà le bus pour El Chalten, une des multiples mecques du trek dans la région. Depuis que je suis en Patagonie, le temps s’accélère, les étapes se raccourcissent, je suis souvent dans le bus, et je déteste ça. Plus le temps de glandouiller, de humer l’air des lieux, de vivre sans voyager, de mettre à jour le blog. Les échéances à venir, et le manque d’intérêt des villes qui sont proches des sites remarquables, sont les explications de ce nouveau rythme. S’y ajoute aussi le coût de la vie en Patagonie, clairement supérieur au reste du pays. Bref c’est pénible d’aller si vite lorsqu’on voyage au long cours.

Direction El Chalten donc, couru pour ses treks qui gravitent autour d’un monstre, le Fitz Roy, géant de granit entouré d’autres sommets et glaciers, qui culmine à 3441 mètres. Trois petites heures de bus et nous y voilà, dans une petite ville qui a été créée de facto pour le trekking, il y a seulement 14 ans.

Sur la route, nous quittons les bords du Lago Argentino et nous traversons une steppe vallonnée, jaunie, balayée par un vent très fort. En observant ce décor, je réalise que le rêve est toujours supérieur à la réalité. J’ai toujours rêvé de la Patagonie, avec des images peut-être légèrement décalées, et maintenant j’ai besoin de réaliser que j’y suis. Il y a le besoin que le paysage colle avec la carte postale pour se dire : « J’y suis, c’est ça que j’attendais ». Cette difficulté à réaliser et à profiter à 100%, est peut-être due au fait que la Patagonie est plus monotone qu’attendu, en dehors des sites remarquables et de certaines portions de route. Le rêve s’est légèrement banalisé face à la réalité, mais sans être décevant non plus. Je m’étais déjà fait la réflexion au Pérou, parce que les paysages vus les premières semaines étaient différents et moins beaux que la carte postale absolue : le paysage andin peuplé d’indiens. Dormir dans les villes relativement modernes et/ou banales, cela aussi casse le mythe et donne l’impression que les lieux magiques ne sont que des centres d’intérêt très localisés, alors qu’ils sont un monde à part entière.

Après la steppe jaunie, c’est le Lago Viedma qui nous sert de paysage, tout aussi grand et beau, et encadré par des sommets enneigés et des glaciers. Nous arrivons à El Chalten, lieu original avec quelques rues, impression de village tout juste sorti de terre, et dans un environnement magnifique. Aucune raison de venir ici si l’on n’aime pas marcher en montagne. Il y a quand même un quartier d’habitation, avec des vraies gens qui vivent directement de l’afflux de trekkeurs. Le Fitz Roy est visible depuis la ville, quand les nuages veulent bien s’en décrocher, et son petit voisin le Cerro Torre, lui aussi un pic de granit, est un beau complément.
Les gardes du parc nous préviennent que le temps est très potable aujourd’hui, bien que nuageux, et qu’il faut en profiter parce que les jours à venir s’annoncent mauvais.

A peine trois heures de repos après le bus, et nous partons donc pour une petite randonnée vers le Lago Capri, un lac situé au pied du Fitz Roy. Le chemin est splendide, au milieu des arbres tordus et légèrement japonisants, ou jonchant à terre et créant une atmosphère étrange. Bizarrement il fait très bon ici, à El Calafate déjà j’avais été surpris, alors qu’à Bariloche , quelques 1000 km plus au nord, il faisait glacial.



Nous arrivons au fameux lac, il fait déjà plus froid. Malheureusement les nuages sont là et en nombre, mais la vue n’est pas bouchée pour autant, et un magnifique glacier au loin fixe notre regard. Descente tranquille, en croisant des marcheurs équipés de tout le matériel pour camper, quelquefois aidés d’un lama porteur.

L’avantage à El Chalten, comme quasiment partout en Argentine, c’est que les chemins sont bien indiqués, et que l’on nous procure des cartes simplifiées mais largement suffisantes pour être autonomes. Pourtant nous choisissons de prendre un guide pour le lendemain, pour un long trek et une marche sur glacier, à un prix raisonnable. La stratégie de faire le minimum au Perito Moreno, deux jours plus tôt, là où le prix est proportionnel à la fréquentation touristique, était la bonne.

Soirée tranquille et coucher tôt à l’hôtel, encore prisé de nombreux français. Et lever tôt pour être à 7 heures devant la maison des guides. Il fait toujours très bon, mais le plafond nuageux est bas, nous risquons de ne voir ni le Fitz Roy ni le Cerro Torre. Mais le programme de la journée sera quand même savoureux …

Notre guide (appelons-le Andres, j’ai oublié son nom) nous emmène donc sur un petit sentier, au décor semblable à la veille, au milieu des arbres tordus. Nous traversons différents vallons qui furent sous la glace il y a très longtemps, et arrivons devant le Lago Torre. C'est le premier petit plaisir de la journée, la traversée de la rivière en tyrolienne. Chacun son tour on passe, on fixe le harnais à la corde suspendue, et on s’engage à la force des bras. Bien plus crevant que je ne l’imaginais, d’autant que le câble remonte vers la fin, mais amusant.

On poursuit la marche, plus physique, sur les bords du lac, jusqu’à l’arrivée au Glaciar Torre, en recul comme la plupart des glaciers. Curieusement aucun bloc ne se détache jamais pour s’écraser dans l’eau brune du lac. On chausse les crampons, Andres nous donne deux ou trois conseils sur la façon de marcher avec, et il nous emmène sur le glacier. C’est très accidenté, nous passons entre les crevasses, on ne s’est pas moqué de nous sur le programme. Nous arrivons devant une sorte de double tunnel aux teintes bleues qui s’enfonce dans les entrailles du glacier, chacun notre tour Andres nous encorde et nous envoie l’explorer, pas bien loin c’est vrai mais c’est une belle sensation.



Sur les bords de ce tunnel, un beau mur vertical, c’est l’endroit parfait pour s’essayer à l’escalade. Andres installe ses cordes pendant que nous faisons la pause sandwich, et nous tentons la montée chacun notre tour. C’est raide. Même en plantant vigoureusement les pieds dans la glace, il est difficile de garder les appuis et éviter de se retomber pendu à ses piolets. Et le plantage de ces mêmes piolets est une douleur pour les mains. Le deuxième mur est plus abordable et nous donne l’impression d’être moins nuls, moi surtout.

Nous poursuivons la marche sur le glacier, Andres cherche les endroits les plus insolites, les puits profonds notamment, mais comme il ne vient qu’une fois par semaine et que le glacier bouge en permanence, il redécouvre plus ou moins les lieux.



Puis nous sortons du glacier, et repartons vers El Chalten, un petit passage en tyrolienne à la clé. Arrivée à 18h, onze heures après être parti et avec peu de pauses. Dé-mon-tés.

De fait cela me décide à repartir dès le lendemain à El Calafate, puisque je serai incapable de repartir sur les sentiers. Le lendemain, coup de chance le ciel est dégagé, on peut voir le Fitz Roy à la perfection depuis la ville. Quelques mètres de marche depuis l’hôtel suffisent pour prendre une photo parfaite, alors que régulièrement des trekkeurs doivent attendre plusieurs jours, en vain.



Malgré leur timing serré avant leur retour en France, Rémy et Séverine décident de me suivre pour l’étape suivante, un autre point phare de la Patagonie. Ils me devancent même puisqu’à El Calafate ils enchaînent sur le bus suivant vers le Chili, alors que fidèle à moi-même, je m’arrête là pour une nuit. L’air de rien nous avons passé une semaine ensemble sans l’avoir planifié, et c’était bien sympa.

On se retrouve rapidement (trop ! toujours trop !) pour une courte mais mémorable étape chilienne. Suerte a ti, amigo !
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mardi 24 novembre 2009

Bariloche, derecho al frio

Je me réveille, il est 6 heures du matin, je suis dans le bus qui m’amène de la chaleur de Mendoza à la froideur de la Patagonie, à San Carlos de Bariloche exactement. Je profite du lever de soleil sur la pampa, un grand espace presque plat, inhabité, non cultivé, avec seulement de grosses touffes vertes. La route est longiligne, étroite et chaotique. Le bus n’arrête pas de vibrer.



Déjà hier soir, une heure après le départ, nous avons dû changer pour un vieux bus, à cause d’une vitre éclatée en marche. Là nous multiplions les arrêts longs, dans les terminaux ou sur le bord de la route, sans trop d’explication. C’est mal parti pour arriver à destination dans le temps prévu, c’est-à-dire … 17 heures ! Ce n’est pas encore beaucoup comparé à d’autres trajets en Argentine, mais c’est mon plus long trajet jusqu’ici. Je m’étais ménagé des étapes rapprochées pour y échapper, mais là quand faut y aller, faut y aller.

Le paysage évolue doucement, un peu de relief apparaît, puis des grands lacs. Derrière l’un d’eux, la cordillère se dévoile à 180 degrés, majestueuse, et étale ses glaciers devant mes yeux. Le bus entame une route sinueuse autour des lacs, entre les sapins, dominée par des montagnes rocheuses, et des formations géologiques originales.



La cordillère réapparaît au détour d’un virage, massive. La plus grosse partie des montagnes est blanche, laissant une fine couche foncée à la base. Ce doit être une illusion d’optique, la base des montagnes doit se trouver plus bas. Et effectivement, nous nous retrouvons en haut d’une colline, un lac immense se découvre, avec au bord la ville de Bariloche, et tout autour des montagnes plus belles les unes que les autres, coiffées de neige. Je suis donc enfin arrivé, après 20 heures de bus au lieu des 17 prévues.

Le lac Nahuel Huapi est agité, il souffle un vent à décorner les bœufs. Je fonce vers ce qui semble être l’auberge de jeunesse la plus sympa : mauvaise pioche, elle est fermée. Je me retourne et vois une grande tour style HLM, laide, censée abriter un hôtel à son dernier étage. Je tente ma chance et tombe sur un des meilleurs hôtels que j’ai trouvés jusqu’ici : un grand salon, une grande salle à manger, une cuisine de folie, des dortoirs au-dessus de la moyenne, et surtout une vue à tomber par terre, sur le lac et sur la ville. Nous sommes au dixième étage, la vue coupe le souffle et justifie par elle-même le choix de l’hôtel. Et comme d’habitude le personnel est souriant et aux petits soins.



Dans mon dortoir je rencontre trois irlandaises délurées, Lorraine, Teresa et Laura, qui vont se coucher en début de soirée pour pouvoir mieux sortir plus tard. Elles ont tout compris, c’est la seule technique valable en Argentine pour suivre le rythme. C’est samedi soir, il y a une petite soirée organisée dans l’hôtel, qui me permet donc de rencontrer les autres voyageurs encore plus vite que d’habitude. Je pars avec Amy, Tim, Sadie, britanniques, et Nicolas, américain, vers un petit bar au bord du lac, pour écouter un concert d’un groupe local, tellement bon que nous voulons tous un CD à la fin. A la sortie du bar, le vent souffle toujours, les petites vagues déferlent à 5 mètres de la porte, l’endroit est magique.

Le lendemain, mes trois nouvelles copines irlandaises, passablement éreintées par la nuit mais toujours aussi délurées, m’entraînent pour un tour de tyrolienne. Sur le trajet, à travers lacs, je découvre les environs de Bariloche : magnifique, très riche, très vert. La tyrolienne se passe en forêt, assez haut en montagne. On se les gèle là-haut, le vent glacé souffle toujours aussi fort. On nous équipe de harnais, on nous jette trois mots d’explication, et c’est parti pour neuf descentes d’un arbre à un autre. La première est soft, histoire de s’habituer, mais les suivantes donnent de belles sensations. On vole littéralement entre les grands arbres, frôlant les branches et les feuilles, et on accoste l’arbre suivant plus ou moins violemment selon qu’on aime freiner ou pas.

Le lendemain je fais enfin un petit tour en ville. On se croirait en Suisse ici : des chiens Saint-Bernard dans la rue, des chalets, d’innombrables magasins de chocolat, restaurants à fondue. Une vraie ambiance alpine, et les prix qui vont avec … L’explication est simple : Bariloche a été créée en 1902 par des émigrés suisses.



Je me décide pour une petite sortie l’après-midi, vers un petit sommet qui domine les nombreux lacs. Ça tombe bien, les irlandaises pensaient à la même chose, on part donc ensemble. Direction le Cerro Campanario par un bus local. Courageusement on évite le télésiège, et on affronte la demi-heure de montée raide. En haut la vue est saisissante à 180 degrés : lacs, îles, montagnes, glaciers. Le vent n’est plus glacial … il est pire, mais cela ajoute une intensité supplémentaire au décor. Des morceaux de glace se fracassent violemment sur la terrasse de l’observatoire, tombés du toit.



Une fois redescendus, les filles rentrent à Bariloche et je poursuis en bus, jusqu’à l’hôtel Llao Llao. C’est un hôtel massif, au style typiquement suisse, mais c’est surtout le départ d’une belle balade à travers bois. Je démarre la route, mais je vois qu’il est déjà trop tard, tant pis je reviendrai un autre jour. J’attrape le bus du retour, et ne me lasse pas de regarder l’environnement magique. Autant la ville fait penser à la Suisse, autant l’extérieur me fait beaucoup penser au Canada : les paysages, les camions et pick-ups qui circulent, et une foule d’autres indices visuels indéfinissables. Souvenir de Nouvelle-Ecosse …

Soirée calme à l’hôtel, qui se remplit progressivement de français. Depuis quatre mois je remarque un phénomène qui se confirme toujours : d’une manière générale les français sont nombreux en Amérique du Sud, mais dans chaque lieu propice au trek, leur concentration explose littéralement. Partout où je suis passé, de l’Equateur à l’Argentine, ça s’est vérifié, surtout au Pérou. C’est vrai aussi pour les israéliens.

Mardi matin (j’ai dû faire un effort surhumain pour me souvenir que c’était un mardi, la notion de semaine a disparu depuis bien longtemps pour moi), je me joins à Marc, français de 62 ans, et Nicolas l’américain du Colorado, pour une randonnée au Cerro Otto, sommet qui surplombe Bariloche. Séverine et Rémy, de Montpellier, nous rejoignent aussi. On démarre dès l’hôtel, à travers la ville. Ensuite le chemin est un peu quelconque, mais au bout de trois heures nous arrivons sur un beau sommet enneigé, avec une belle vue sur le lac (un peu toujours la même, c’est vrai, mais on ne s’en lasse pas), et sur l’autre côté de la vallée.
Je redescends seul et très rapidement pour claquer une bise à mes irlandaises délurées avant qu’elles ne prennent leur bus pour Mendoza.



Le soir, une envie furieuse de fondue nous prend, Séverine, Rémy, Nicolas et moi. Pas compliqué, les restaurants à fondue foisonnent. Bon, on est quand même en Amérique du Sud, on ne s’attendait donc pas à du grand niveau. Et effectivement, il était difficile de faire la différence entre la fondue au fromage suisse et celle au camembert. Mais enchaîner la fondue au fromage avec celle au chocolat, ça c’était criminel … Retour à l’hôtel le sourire figé et le ventre tendu. Il y a encore deux français de plus.

Mercredi, on loue une voiture pour profiter au maximum du must dans le coin : la route des sept lacs. Cette fois Nicolas ne nous suit pas, on le remplace par Davy, un rennais. La voiture est donc 100% française. Ravi de conduire à nouveau, je m’installe au volant pour de longues heures. Comme prévu la route est magnifique, elle serpente entre les lacs, au milieu des sapins et montagnes enneigées au sommet.



L’asphalte finit par disparaître, on arrive sur une route en construction puis un chemin en terre. Plusieurs heures à rouler à 40 à l’heure, en zigzaguant entre les nids de poule, c’est un peu fatigant, mais le décor magique vaut le coup, et on croise bien peu de monde ici. Impression d’être au Canada, encore, ou en Alaska. Nous enchaînons les sept lacs, et mitraillons de photos.

Nous retrouvons enfin l’asphalte. Un troupeau de vaches squatte la route, rapidement évacué par leur propriétaire, un fier et taciturne gaucho sur son cheval. Oups un contrôle de police. Ça va, tous les papiers sont en règle, mais nous avons droit à une fouille complète de la voiture, jusqu’à la moindre pochette, entre chaque billet de banque. Apparemment ils cherchent le sucre en poudre pour leur yaourt, mais on se marre et ils comprennent qu’ils n’auront rien à se mettre sous la dent.

On reprend la route, je fatigue et laisse le volant bien malgré moi à Marc, qui donne la gerbouille à tout le monde par ses coups de frein inutiles et violents, et accessoirement me stresse. Je me tiens prêt à sauter sur le volant à tout moment. La route touche à sa fin, et nous arrivons dans la charmante ville de San Martin de Los Andes, pour manger un bout et digérer toutes ces images emmagasinées. Au retour, je tente le coup « ah je suis en forme pour conduire ! » auprès de Marc pour qu’il me rende le volant, mais ça ne marche pas. Bon, hé bien je vais continuer de m’accrocher à la portière. Sur la route nous apercevons le volcan Lanin, véritable monstre blanc d’une beauté saisissante.



Je parviens finalement à reprendre le volant, après une nouvelle proposition diplomatique, et après que Marc nous ait rendus blêmes. Nous nous retrouvons sur la route que j’avais déjà prise entre Mendoza et Bariloche, sinueuse et splendide.

Le départ est pour demain matin déjà, à regret mais je manque de temps. Je prends le bus avec Séverine et Rémy pour El Calafate, récompense d’un voyage de 30 heures.
Il va falloir quitter ce petit cocon qu’est l’hôtel 1004, les gens sympas qui le tiennent, et tous les voyageurs rencontrés, les britanniques et Nicolas notamment.

Dans chaque endroit, au bout de quelques jours, j’ai la sensation d’être resté là quelque temps : je repense aux deux premiers jours et j’ai l’impression qu’il s’est passé un mois déjà, parce que j’ai fait beaucoup de choses, je me suis installé comme chez moi, et les voyageurs avec qui j’ai partagé des moments sont déjà partis depuis deux ou trois jours. Chassé-croisé désagréable, parce qu’on se fait des amis et qu’on les perd tout de suite, mais chassé-croisé garantie de nouvelles rencontres, de changement, de nécessité de rester ouvert à tout le monde. C’est une suite ininterrompue d’adieux (« Suerte, have a nice trip, give me your Facebook ») et de rencontres (« Hi, where are you from ? …). De temps en temps, le hasard fait bien les choses, on prend le bus avec des nouveaux copains, on a la même destination et le même timing, pour quelques jours de plus. Là c’est le cas avec Séverine et Rémy.

On se retrouve dans 30 heures, si je ne suis pas complètement défait. Beaucoup plus au sud, dans un endroit mythique de la Patagonie.

Suerte amigo !
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mercredi 18 novembre 2009

A Mendoza, pédale et picole !

Jeudi, 22h00, je suis sur la terrasse du Baluch à Cordoba, en train de manger un gros morceau de viande, avec Yonantan et plein d'autres backpackers sympas de tous les pays. Oups mon bus est dans 30 minutes ! Je salue tout le monde, attrape mon sac et saute dans un taxi pour le terminal. C’est reparti pour une nuit de bus (10h, une plaisanterie en Argentine). La direction : Mendoza, une des villes réputées les plus agréables à vivre, et surtout le centre de toute une région viticole (dis-je en essuyant une goutte de salive qui s’échappe, simple réflexe pavlovien).

Comme d’habitude, le bus est ultra-confortable, j’arrive à dormir presque d’une traite et me réveille à 6 heures. Le paysage est déjà évocateur : sur le bord de l’autoroute, des vignes à profusion, au fond, la Cordillère des Andes qui vient apporter une touche de blancheur à ce beau tableau.



Je m’installe au Break Point Hostel, en plein milieu du quartier des bars : grand salon, grande cuisine, jardin avec piscine, ça s’annonce bien. Mais en Argentine, il est souvent difficile d’avoir son lit avant l’heure du check-in, je dois donc attendre de 8h à 11h30 en surmontant ma fatigue, malgré la nuit presque normale passée dans le bus. Je finis par avoir mon lit, un dortoir un peu surchargé en lits pour peu d’espace, et m’écrase dans la torpeur ambiante. J’avais quand même atteint la limite de ma fatigue à Buenos Aires et Cordoba, et avais réalisé l’exploit de m’endormir deux secondes en marchant, lors d’un retour à l’hôtel en pleine nuit. Il y a donc du retard à récupérer. Il me semble.

J’attrape quand même les dernières heures ensoleillées pour faire un petit tour de ville. Sa réputation n’est pas usurpée : de belles avenues ombragées par les platanes, des canaux d’irrigation le long des trottoirs, une sensation de dolce vita, des petites places charmantes disposées en domino autour d’une grande Plaza Independencia où il fait bon flâner autour de la fontaine et dans l’herbe. Une rue piétonne pleine de terrasses, ce qui n’est quand même pas très fréquent en Amérique du Sud.



Retour à l’hôtel, la Avenida Villanueva se remplit doucement, les terrasses sont déployées et conquises par les fêtards. Ambiance un peu « branchée » et commerciale qui me convainc peu, je reste peinard à l’hôtel. Samedi matin, encore peu renseigné sur les centres d’intérêt en ville et autour, je me laisse vite tenter par un tour en parapente. Je suis dans ma série « sensations dans les airs », et le saut en chute libre de Cordoba me reste en tête. C’est donc parti pour le sommet d’une montagne à l’extérieur de la ville, en vieille jeep.

Arrivés en haut, on s’équipe vite. Un des instructeurs me choisit, m’enfile un harnais et m’explique seulement qu’il faudra courir dans la pente et surtout pas sauter. OK je veux bien mais à 5 mètres c’est déjà plein de grosses touffes d’herbe peu hospitalières, j’espère qu’on va décoller vite. Il fait difficilement décoller la voile et me malmène un peu, à droite à gauche, et soudain on court comme des dératés dans la pente raide, direct vers la brousse peu accueillante. Ça devient sport mais ça y est on décolle. Calme absolu, le vent est faible ce matin, le ciel d’un bleu immaculé et le soleil brûlant. On flirte avec les sommets arides, Mendoza est devant nous, légèrement masquée par un voile de torpeur. Malgré le vent faible ça secoue un peu, mais la sensation de voler, confortablement assis dans mon harnais, est vraiment bonne, si j’oublie la gerbouille qui menace, plutôt rare chez moi.



Au bout d’une demi-heure virevoltante, on finit par atterrir, un peu violemment parce qu’un vent contraire s’est brusquement manifesté au sol. On s’affale au sol brutalement mais les jambes sont sauves. Belle expérience, mais j’aurais peut-être dû attendre un peu. Trois jours après le saut en chute libre, la comparaison est inévitable et penche lourdement d’un côté. Difficile d’y trouver le même plaisir …

De retour à l’hôtel, je passe à nouveau une journée tranquille avec un petit tour en ville à la Avenida Las Heras et son Mercado Central plein de fromage. La ville est particulièrement tranquille le week-end, peu de circulation sous les platanes. Je zappe à nouveau les bars, toujours pas inspiré bien qu’on soit samedi soir et que l’avenue chauffe aux portes mêmes de l’hôtel.

Le dimanche matin est à nouveau paresseux (dangereuse tendance, il faut se réveiller !). Je pars quand même découvrir le Parque San Martin, grand parc en bordure de ville. Arbres majestueux, massifs de fleurs, nombreuses pelouses, grande fontaine dans le style Versailles, grand lac artificiel arpenté par les rameurs. C’est dimanche après-midi, les joggeurs se frayent un chemin entre les familles. Je me sors du labyrinthe de chemins et cherche une rue qui me ramène à l’hôtel, et je tombe sur la rue Boulogne-Sur-Mer ! A vrai dire j’en avais déjà repéré une sur le plan de Cordoba, quelques jours plus tôt. Et quand je dis à certains Argentins que je suis de Boulogne-Sur-Mer, ils connaissent. Le célèbre Général San Martin, une des figures les plus célèbres d’Argentine et même d'Amérique du Sud, est mort à Boulogne-Sur-Mer, et il y a une glorieuse statue.



Lundi je fais la connaissance de Norine, canadienne d‘Ottawa en voyage en Amérique du Sud jusqu’à-plus-d’argent. Nous sommes d’accord pour faire ensemble la plus fameuse activité à Mendoza, éminemment sociale et surtout pas solitaire, le Bike&Wine Tour (que l’on pourrait traduire par « Pédale et Picole »). Mais dès qu’elle se sentira un peu mieux, pas aujourd’hui. Je loue un vélo et pars pour un tour plus approfondi de la ville, et de ses parcs surtout. Je prends à nouveau le chemin du Parque San Martin, tellement grand qu’il faut un vélo pour bien l’explorer. Routes et chemins dans tous les sens, pelouses désertes cachées derrière les arbres. Je longe le golf, repasse par la grande porte façon Versailles, puis arrive par hasard au stade de Mendoza, qui date de la Coupe du Monde de 1978. Je prolonge jusqu’au zoo, il est fermé aujourd’hui mais un bel ara trône sur le portail d’entrée, totalement libre mais peu bavard ... mes « hola » insistants ne recevront aucune réponse.

Retour en ville, pour découvrir des bouts de quartier encore inconnus. Côté trafic je déchante vite : nous ne sommes plus le week-end, et les villes argentines ne me paraissent pas très accueillantes pour les vélos. Je prends ma dose de CO2 et de stress dans les bouchons à l’heure de pointe, et rentre tant bien que mal rendre le vélo. Encore une soirée calme dans les fauteuils profonds en cuir du salon du Break Point Hotel, avec comme bruit de fond la musique commerciale du restaurant « branché ».

On me donne une chambre individuelle, minuscule, mais au prix d’un dortoir, je vais enfin pouvoir dormir correctement. Sur le pont dès 8h, je pars à Maipu avec Norine pour faire enfin le Bike&Wine Tour : le tour en vélo des bodegas et fabriques d’huiles d’olive de ce charmant patelin en banlieue de Mendoza. Une fois le vélo loué, on commence par un tour au Musée, puis à une nouvelle adresse absente de la précieuse carte : dégustation d’huile d’olive, de liqueurs (ah l’absinthe à 75°, ça chauffe !), de chocolats, olives, et plein de petites choses … parfait avant d’entamer la tournée du rouge.

Onze kilomètres plus loin, après avoir pédalé le long d’une belle route bordée d’arbres, charmante comme dans toutes les régions viticoles, remplie d’odeurs, nous arrivons dans la seule bodega française, tenue par un couple d’âge très mûr qui a tout plaqué en France pour s’installer ici et apprendre le métier du vin. Le Malbec est pas mal, le Cabernet Sauvignon encore mieux. Après une visite et une dégustation à l’usine d’huile d’olive juste en face, histoire de vraiment caler nos estomacs, nous remontons la route pour visiter différentes bodegas. La première est bondée, on ne s’attarde pas, surtout que l’heure passe vite et que nous n’avons toujours pas dégusté beaucoup de vins différents.

On enfourche les vélos le long de cette route, belle mais un peu dangereuse, doublés de près par des camions, bus et voitures. Un policier en moto nous arrête et nous demande où on va (ben picoler ! l’est con lui ...).
« A la bodega Trapiche.
- No pueden, todo es cerrado a las 5. Ahora solo la olive oil es abierta todavia.”

Ben zut, on nous avait dit que tout fermait à 6 heures. Dégoûtés ! Nous n’avons dégusté que dans une bodega et c’est déjà fini. Nous reprenons le vélo et réfléchissons deux secondes, non c’est pas possible, il faut tenter. Demi-tour pour tenter une bodega plus proche, et je comprends le truc : le salopiaud a voulu nous enfler et nous envoyer dans un business tenu par un de ses proches. Il ne peut pas ignorer que tout ferme à 18h ! J’avais entendu parler de la corruption de la police en Argentine, mais jusqu’ici je les trouvais plutôt bienveillants avec les étrangers.

Et effectivement la bodega Tempus Alba est encore ouverte. Coup de chance, c’est une des plus belles de la liste. Très moderne, très classe, elle a aussi parmi les meilleurs crus du coin. Pas de temps à perdre avec la visite, direction la terrasse qui domine les vignes pour une dégustation de six de leurs crus : rosé, Merlot, Syrah, Malbec, Cabernet Sauvignon …

Petit rapprochement stratégique vers la table d’à côté pour picoler d’une manière plus sociale, avec canadiens, irlandais, autraliens. Il est 18h, le soleil chauffe encore et arrose d’une belle lumière les vignes autour de nous, le bonheur. Même les hollandaises de mon dortoir, assises à la table d’à côté et d’habitude très fermées, daignent sourire, c’est dire si on est bien !



Trente minutes de vélo pour retourner au loueur, la langue sèche, j’essaie d’évacuer en pédalant vite tandis que Norine profite d’une escorte personnelle, un policier à moto qui la suit de près sans relâche (pour une fois qu’un argentin suit une fille dans la rue sans paroles ni bruits tendancieux, elle a apprécié !).

Retour en bus, nous faisons la connaissance d’une irlandaise et d’un australien qui s’appelle Nicolas et parle français. A peine quinze minutes de conversation et j’ai son e-mail en poche, voilà un nouveau contact pour Sydney, ça marche comme ça le voyage ! Un énorme plat de pâtes à l’hôtel avec Norine pour finir d’éponger le rouge, on déballe tous les péchés gastronomiques achetés dans la journée, et au lit !

Le mardi j’enchaîne pour tenter d’effacer les trop nombreuses journées paresseuses, je pars vers un des plus beaux décors de la région. Par simplicité je prends un tour avec une agence, mais lorsque le mini-bus vient me chercher à mon hôtel, j’ai une surprise inattendue : la moyenne d’âge des autres touristes frise la surchauffe, tous les voyants sont au rouge. Merci l’agence qui ne m’a rien dit !

Bon ce sera une journée essentiellement photos. Et il y a de quoi … Nous nous engageons dans la cordillère des Andes, en direction de la frontière chilienne. Rapidement les montagnes prennent des teintes rouges, oranges, grises, brunes, et même jaunes. Nous longeons un lit de rivière très large et quasiment sec, au fond duquel coule une mince rivière.



Premier arrêt devant un beau pont de pierre sur la rivière Picheuta, construit il y a plusieurs siècles. Puis on poursuit jusqu’à l’objectif principal de la journée : el Puente del Inca. C’est un pont naturel, aux couleurs jaune et orange vifs, formé par la glace et le dépôt de sédiments. Unique et magnifique !



Quelques kilomètres plus loin, nous apercevons le sommet de l’Aconcagua, point culminant de la Cordillère des Andes à 6962 mètres. Nous sommes un peu loin pour bien l’apprécier, mais il est massif et d’une blancheur parfaite. Le temps d’un déjeuner massif à Las Cuevas, nous poursuivons jusqu’au poste frontière chilien. Le vent est gelant mais l’environnement en vaut la peine : contraste de roche et de neige, impression de bout du monde, seuls les gardes-frontière témoignent d’un peu de vie.



Et c’est reparti pour de longues heures de bus pour rentrer à Mendoza, presque sans arrêt. Je continue à mitrailler de photos tellement les montagnes sont belles, enneigées ou pas. Par chance ma vitre n’est pas maculée par l’Argentine qui se sent très mal, quelques rangs devant …

Pour une fois je ne passe pas une soirée tranquille à l’hôtel, je suis entraîné dans un bar par Anny et Ray, un couple germano-irlandais bien sympa. J’aurai passé une semaine en plein milieu du quartier des bars en ne sortant quasiment pas, ambiance trop commerciale. Le dernier jour est encore bien peu actif, je dis au revoir à Norine qui part à son tour au Puente del Inca. Mais j’ai le plaisir de déjeuner avec mes deux copines de Seattle, rencontrées à Iguazu, qui reviennent de trois semaines de woofing dans une ferme et sont à Mendoza pour deux jours.

En ce moment ma priorité est d’essayer de recroiser des gens que j’ai pu croiser plus tôt, en Bolivie ou dans le nord de l’Argentine. Iñigo, Angela, Antonia, Emilie et Hervé … Pas facile, parce que chacun change ses plans, ses dates, décide au dernier moment. Si je m’attarde trop longtemps à un endroit pour y attendre quelqu’un, je prends le risque d’attendre pour rien et de perdre du temps pour le reste du voyage. Si je décide de partir parce qu’il semble inutile d’attendre, la personne en question va probablement arriver juste après …

Là j’ai réussi à retrouver Erin et Cait et ça fait plaisir. Ne rencontrer que des nouveaux voyageurs toutes les semaines et ne pas les revoir a quelque chose de frustrant. Les contacts persistants sont plus satisfaisants. Il y eut Josh et Natalia en Equateur, Emilie et Hervé à Potosi, Elise et Damien à Buenos Aires, et maintenant Erin et Cait. Et d’autres retrouvailles à venir, c’est prévu …

Je quitte Erin et Cait et pars pour un dernier tour en ville jusqu’à l’avenue Boulogne-sur-Mer et le Parque San Martin. Passage à l’hôtel pour me cuisiner un petit dîner (je ne vais plus beaucoup au resto, mais je fais mes courses et je cuisine, un bonheur !), dire au revoir aux gens de la réception de l’hôtel, avec qui j‘étais devenu très familier au bout d’une semaine, et jeter mon sac dans un taxi en dernière minute. Fin d’une semaine de dolce vita dans une ville paisible, à la température toujours idéale, au vin abondant. Mendoza est bien une des villes argentines les plus vivables pour un européen ...

Direction le froid, dans une région au nom mythique, qui en fait rêver plus d’un. Allez, on se retrouve dans 17 heures à la sortie du bus. Chau amigo !
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samedi 7 novembre 2009

Cordoba, glande et frisson

Arrivé au petit matin à Cordoba, la deuxième ville du pays, je file à l’hôtel Baluch recommandé par Nao, que j'ai rencontrée à Potosi et San Pedro. D’ailleurs elle y est encore. J’arrive dans un mini-hôtel qui ressemble plus à un grand appartement, l’accueil est excellent comme d’habitude, mais je ne devine pas encore à quel point il va l’être …

Après deux ou trois heures de sommeil au bruit lancinant du marché qui se tient dans la rue, et d’un vendeur de lunettes qui répète frénétiquement le même slogan, je pars déjeuner et faire un premier repérage de la ville avec Nao. On ne peut pas dire que la ville soit superbe, et malheureusement la Plaza de Mayo et la cathédrale sont en travaux, mais il règne une atmosphère assez tranquille, impression sûrement renforcée par le soleil brûlant (quel bonheur de ne pas subir l’automne français … ).



Le quartier Nueva Cordoba vaut le coup d’œil, notamment avec son Paseo del Buen Pastor, ancien monastère-chapelle-prison pour femmes, maintenant lieu culturel rénové où il fait bon traîner.



Retour à l’hôtel pour prendre l’apéro sur la magnifique terrasse et faire connaissance avec les autres backpackers : Markus le norvégien, Stefen l’allemand, Patrick le suisse, Nao la japonaise, Fiacra l’irlandais, Yonantan l’israëlien, trois irlandaises, et … Alexis un français : lillois, boulonnais, et golfeur à Wimereux, rien que ça (et je ne l’avais jamais croisé dans ces lieux !). Je sens rapidement de bonnes petites vibrations. Au fur et à mesure de la soirée, tout le monde squatte la cuisine, les bouteilles de rouge s’ouvrent les unes après les autres, et je retrouve une ambiance comme j’aimerais en trouver dans tous les hôtels.

C’est samedi, interdit d’aller se coucher malgré la fatigue, d’autant que Cordoba est réputée pour sa vie nocturne. Je repars donc à la Nueva Cordoba, avec Nao, Markus et Yonantan. Après deux ou trois bars, mal renseignés, nous atterrissons dans une boîte à la clientèle quasi pré-pubère. Et toute la rue paraît aussi juvénile. Bon, c’est peut-être le moment d’aller se coucher …

Le dimanche est paresseux, mais très sympa puisque tout le monde traîne dans l’hôtel, du salon à la télé en passant par la terrasse ou son lit. A midi Stefen l’allemand cuisine pour presque tout le monde, un vrai plaisir. En fin d’après-midi, nous partons à huit pour un paint-ball, dans un vieux hangar hanté de vieux tonneaux et de voitures calcinées et renversées. Quasiment pas de tenue fournie : nous repartons tous avec des traces énormes dans le dos, surtout Sasha, la seule fille, massacrée par son compatriote irlandais.

Le soir Stefen cuisine à nouveau pour plusieurs d’entre nous, et malheureusement la moitié des gens s’en vont ce soir pour Mendoza. Au moment où ils partent, tout le monde évoque cette même sensation de se sentir chez soi : l’hôtel est comme un grand appartement, les jeunes qui se succèdent à la réception sont plus que sympas, on mange souvent ensemble dans la cuisine, et malheureusement plusieurs s’en vont un dimanche soir. Je n’avais jamais ressenti cette impression.

S’ensuivent trois jours à traîner vaguement :

- une virée en voiture à Las Salinas Grandes, un désert de sel, avec Stefen, Yonantan et Patrick (ma première expérience de conduite dans une ville sud-américaine ... un peu stressé);



- des petits tours en ville, histoire de bouger un peu ;

- un petit concert dans le salon par deux belles chanteuses ;

- des copains argentins d’une fille travaillant à la réception qui viennent squatter un soir pour fêter un anniversaire ;

- une soirée chez Barbara, une autre jeune Argentine qui travaille à la réception, et ses amis ;

- un tour en VTT avec Yonanthan depuis Alta Gracia, la ville qui a vu grandir le Che, dans les collines environnantes, sous le soleil brûlant, sur les épines qui percent mes pneus et m’obligent à revenir en taxi ;

- le réveil tous les jours au bruit du marché dans la rue piétonne, avec le slogan obsédant du vendeur de lunettes que je finirai par photographier depuis le balcon, pour ne pas l’oublier (et pas seulement moi, quelqu’un en parle dans le livre d’or de l’hôtel).



Mais quasiment tous les gens sympas, qui étaient déjà là le dernier week-end, s'en vont les uns après les autres, créant une impression de vide. Pendant une nuit je me retrouve même seul dans mon dortoir, ça ne m'était jamais arrivé.

Pourquoi je reste si longtemps sans faire grand-chose de concret ? Parce que je me sens chez moi dans cet hôtel, avec des gens sympas … mais surtout parce que j’attends vainement depuis trois jours, mon baptême de saut en chute libre ! C‘est reporté sans cesse à cause du vent et des nuages, à chaque fois la journée est gâchée d’avoir attendu trop longtemps, mais ce mercredi ça y est, les conditions sont là : on vient nous chercher à 7 heures, Yonantan, un jeune couple britannique de Jersey, et moi, et nous partons à l’aérodrome. Pour toutes les activités fortes en sensations, l’Amérique du Sud est l’endroit parfait, parce que c'est beaucoup moins cher qu’ailleurs, même si ça n’est pas donné.

Arrivée à l’aérodrome, petite explication sur comment s’asseoir dans l’avion minuscule, la position à adopter au moment du drop, et autres instructions importantes. Je passe en premier, on m’habille d’une combinaison très seyante, on m’équipe d’un harnais plus que serré. Les gestes de l’instructeur sont précis et concentrés, je ne m’inquiète pas pour la sécurité. Le cameraman est déjà à l’œuvre, pour me laisser un souvenir complet de cette expérience. Enfin on part vers l’avion, je m’installe tant bien que mal dans le minuscule cockpit avec l’instructeur et le cameraman, dos au pilote. L’instructeur ferme les yeux (il se concentre ou il a eu une dure nuit ? j’espère très fort la première option). Au bout de dix minutes de vol en rond pour prendre de l’altitude, l’instructeur commence à se préparer, échange quelques mots avec le cameraman, la tension monte pour moi. Et soudain ça y est : le cameraman ouvre la porte, un bruit et un vent énorme envahissent le cockpit, et tout va très vite : l’instructeur accroche son harnais au mien, me faisant asseoir sur ses genoux, il fixe sa mini-caméra au poignet, le cameraman sort et s’accroche à l’aile pour filmer ma sortie, nous nous rapprochons de la porte, l’instructeur s’assied sur le bord, me laissant ainsi gigoter dans le vide. Il y a peu de place, j’ai l’impression qu’on va heurter la roue de l’avion en sautant. Je prends la position demandée, mains croisées sur les épaules, l’instructeur sollicite mon sourire crispé pour la caméra, et soudain c’est le grand plongeon : tourbillon indescriptible, sensation de chute inarrêtable, on tourne sur nous même, j’ai l’impression que l’instructeur au-dessus de moi ne contrôle rien. Puis il lâche une sorte de mini-parachute qui a pour effet de nous stabiliser, mettant fin au tourbillon, et je peux hurler de plaisir en direction du cameraman qui flotte juste en dessous de moi, passant à droite, à gauche et très près pour me filmer au mieux. Nous ne sommes pas si hauts, le sol se rapproche à grande vitesse. Après trente petites secondes de chute libre, le grand parachute est lâché, nous happant littéralement vers le haut. Calme complet, impression de flotter, vue magnifique sur Cordoba et les environs, sous un ciel bleu limpide. Un avion passe en-dessous de nous. Pour ajouter encore un peu de sensations, l’instructeur nous engage dans des virages rapides, qui me donnent un beau vertige.

On arrive vite au sol, la vitesse à l’atterrissage est impressionnante, le cameraman est déjà là pour capter le dernier instant. Sourire jusqu’aux oreilles, mais pression énorme dans le crâne, ça fait mal aux oreilles ! C’est le tour de Yonantan, puis du couple anglais, l’instructeur enchaîne sans relâche. Ça coûte cher à la seconde mais c’est inoubliable, à refaire …



Le lendemain j’hésite à partir vers un lac à l’extérieur de la ville pour me rafraîchir, mais il est quasiment impossible de sortir, c’est la fournaise dehors, environ 40°C. Ils prévoient 45°C pour demain, mais je ne serai plus là, je prends le bus de nuit vers l’ouest, vers la région du vin … enfin juste après une parrilla de toute dernière minute sur la belle terrasse du Baluch, avec Yonantan et les autres.

Hasta mañana en Mendoza !

P.S : le temps me manque pour écrire plus, c’est clairement mon ennemi dans ce voyage. Ce message est donc très synthétique mais les articles plus longs reviendront …
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dimanche 1 novembre 2009

Buenos Aires, une mégapole plus que vivable

Je quitte l’univers exotique de San Ignacio, et Iñigo qui me rejoindra plus tard, en montant dans un bus. Ici en Argentine, les trajets sont très longs. La norme c’est une vingtaine d’heures, et le transport roi est le bus, comme dans toute l’Amérique du Sud, sauf qu’ici les conditions sont bien différentes : le confort est au top, avec différentes catégories, du semi-cama au cama suite en passant par le cama. Le prix n’est pas le même non plus, par rapport aux pays précédents on ne joue plus dans la même cour.

Pour mon premier gros trajet, ayant du sommeil à rattraper ou plutôt à ne pas aggraver, je choisis le top : le cama-suite : sièges inclinables à 180° (enfin en principe mais en fait non), wifi pendant tout le trajet (en principe mais en fait non), apéro-vin-champagne-plat chaud (en principe et en fait oui). Quand je monte dans le bus, il est vide, je suis tout seul ! Ça fait une drôle d’impression, 2 heures plus tard finalement des passagers montent à Posadas.

Quelques heures plus tard, nous arrivons à Buenos Aires, la capitale argentine, sur une autoroute énorme et bondée de trafic. J’avais oublié ce que ça pouvait être. Je repère la position du terminal et l’adresse de mon hôtel sur la carte, et ô bonheur, il y a un métro direct. J’ai presque honte, mais je suis vraiment content de trouver un métro : je peux me déplacer vite, pour pas cher, et de façon autonome dans une ville, sans prendre le taxi ou marcher avec mes 20 kgs de bagages. Toi bloglecteur urbain et stressé qui me lis, tu voudras sûrement m’étrangler : tu subis le métro tous les jours, tu rêves d’ailleurs magiques, lointains et exotiques ; moi j’atteins un de ces ailleurs, et je te dis que je suis content de prendre un métro. Arrgh le salopiaud, il nous nargue !
J’avoue, et j’assume. Après plus de 3 mois de transport urbains, j’ai enfin la sensation d’échapper à la précarité des bus et l’arnaque des taxis. Que c’est bon !

J’arrive dans mon hôtel pour backpackers (je l’ai écrite combien de fois cette phrase ?), et découvre mon dortoir sombre, moite, rempli, et aux lits superposés grinçants. Trois backpackers déjà dedans essaient de m’expliquer en espagnol quels lits sont libres. Je leur propose de « parler français, ce sera plus facile », ayant capté illico leur accent. C’est ça qui est pratique avec les français, qu’ils parlent espagnol ou anglais, leur accent se détecte au premier son émis. Valentine vient de Lyon et voyage seule sans limite de temps, Gilles-Yann (un boulonnais !) et Clara sont de Foix et voyagent en couple.

Je nie à nouveau ma fatigue d’après-bus, atténuée grâce au Cama Suite, et pars me balader dans le quartier de San Telmo, réputé pour son charme. Et effectivement on se sent bien ici : belles et vieilles maisons, rues calmes, boutiques d’antiquité, superbe marché sous des halles, petits restaurants, et la Plaza Dorrego qui concentre toutes ces qualités. Si ce quartier était en France, on le qualifierait de bobo. Bien que l’on soit dans Buenos Aires, une mégapole de 12 millions d’habitants, à San Telmo on se sent presque comme dans un village, coupé du bruit et de l’agitation.

Puis je rallie le centre et sa grande Plaza de Mayo, occupée par une grosse manifestation. D’un côté la Casa Rosada, où se trouve officiellement la présidence. De l’autre l’église Cabildo et l’université. Au milieu une balafre constituée par des barrières noires, rarement enlevées apparemment, parce que les manifestations sont très fréquentes. Je passe sur la rangée de « CRS » argentins derrière les barrières …




Bon, c’est loin d’être la plus belle place que j’ai vue en Amérique du Sud, mais elle n’est pas non plus laide. Je dérive vers les rues adjacentes, qui constituent le Microcentro. Bien que la rue Florida soit piétonne, elle n’est pas franchement agréable : étroite, bondée de monde, enlaidie par les enseignes des boutiques, assombrie par les hauts buildings qui la bordent. On y trouve tout, et notamment deux splendides galeries commerciales à l’ancienne qui valent la photo. Mais on n‘y trouve pas vraiment le plaisir de se balader. Les rues alentour ne sont pas piétonnes, et la circulation y est oppressante. Notamment les bus, qui roulent plus vite que tous les autres véhicules, très près du trottoir, et agressent avec leurs bruits de gaz. Je me demande combien de piétons sont fauchés par ces bus chaque année !

De retour à l’hôtel, je décide avec Valentine de sortir à Palermo Viejo, quartier branché et animé. En début de soirée je tombe déjà de fatigue, et pour sortir en Argentine c’est tard ou rien, mais tant pis, on n’a qu’une vie … Un petit tour en taxi dans les rues surchargées, un petit tour du quartier à pied pour réussir à choisir un resto, et donc un resto et un bar autour de la Plaza Serrano, jusqu’à ce que mes paupières complotent avec la gravité pour m’inciter à rentrer.

Le métro ferme très tôt à BsAs, inexplicablement, mais les bus tournent toute la nuit … à condition d’en connaître le principe : il faut absolument acheter un guide en kiosque, y chercher sa destination, se reporter au plan indiqué, sur ce plan noter les lignes qui passent par sa destination, se reporter à la description des lignes pour voir où elles s’arrêtent, dans une de ces rues chercher vainement le tout petit panneau qui indique l’arrêt, fouiner dans sa poche en espérant avoir des pièces (seul moyen de payer le ticket), une fois dans le bus annoncer au chauffeur quel montant on doit payer (on annonce le montant soi-même ?!? heureusement il y a une tolérance pour les pauvres touristes perdus, on annonce la destination et le chauffeur trouve le prix), et là on surveille frénétiquement l’itinéraire suivi pour savoir où il faut descendre.

Heureusement que les Argentins sont décidément des gens très gentils et serviables, on nous indique où se trouve l’arrêt, et là par chance une jeune Argentine nous explique tout et descend justement au même endroit que nous. Ça s’appelle la chance du débutant.

Nuit moite et bruyante, à cause des lits superposés précaires et grinçants, et du mastodonte qui bouge en permanence. Matinée paresseuse, une de plus. Je choisis le petit tour guidé de San Telmo proposé gratuitement par l’hôtel, qui me fait parcourir à nouveau les rues élégantes paisibles de ce quartier, explications en plus. Marché, plaza San Dorrego, Bar Sur, rues pavées, belles façades, Pasaje de la Defensa …




Une fois la visite terminée, je me mets en tête avec Valentine de trouver soit une milonga soit un spectacle de tango. Une milonga c’est simplement un endroit où les gens peuvent danser le tango, dans une ambiance authentique, avec un groupe de tango qui joue live. Par chance San Telmo regorge de ces spectacles et milongas.

Nous trouvons une milonga, une simple porte sans enseigne qui ne paie pas de mine mais nous inspire, c’est une garantie pour nous d’être au milieu d’Argentins et non de touristes, dans un cadre local authentique.
De retour à l’hôtel je retrouve par hasard Candido, l’espagnol de Tenerife rencontré à Iguazu.

Le soir, avec Gilles-Yann, Clara et Valentine, décidément bien entre français (j’assume, ça fait du bien de temps en temps, ça repose le cerveau), petit resto de quartier pour s’enfiler à nouveau une belle pièce de viande et un bon rouge. Après avoir subi des endormissements spontanés en pleine discussion avec Gilles-Yann (véridique !), nous en sortons vers 23h, heure à laquelle il commence vraiment à se remplir ... le rythme argentin. Il faut patienter jusqu’à 1h pour aller à la milonga, un bar bondé avec concert de reggae-dub fera l’affaire.

Et enfin nous pénétrons dans la milonga : petite entrée sombre juste tamisée d’une lumière rouge, escalier en bois très sobre qui nous mène à l’étage, et là une belle salle, les tables au bord de la piste de danse bien délimitée, une scène pour le groupe, un bar tamisé de rouge. Un cours se termine, si j’avais su je l’aurais pris aussi, et la milonga commence.

Malheureusement il y a peu de monde, quelques couples amateurs qui viennent de prendre une leçon, mais aussi deux ou trois couples confirmés qui rivalisent de complicité et de sensualité, un léger sourire aux lèvres, ne se lassant jamais de danser, au son du groupe mené par une belle chanteuse, voix forte et chaude, clairement inspirée par la tradition du tango. Le tango c’est plus qu’une musique, c’est une culture à part entière, un monde en soi.




Je perçois clairement que les argentins ne vont pas dans une milonga comme on sort en boîte. Ils y vont dans un certain esprit, pour extérioriser une part d’eux-mêmes. Ils appliquent certains codes, et se régalent de ce moment authentique. Un couple retient mon attention, par sa très grande différence d’âge notamment mais surtout par sa classe, tout en lenteur. Leur tenue élégante, noire, fait pour beaucoup dans la beauté de leur danse.

A nouveau je ne tiens plus, je m’effondre, nous rentrons. Après une nouvelle nuit moite et bruyante dans le dortoir claustrophobique, je retrouve Iñigo, quitté deux jours plus tôt à San Ignacio. En rejoignant cet hôtel il retrouve Candido et moi. Sauf que je m’en vais, je n’ai pas réservé assez de nuits et c’est maintenant plein. Ça ne me gêne pas plus que ça puisque l’hôtel, pourtant affilié HI (Hostelling International), n’est pas terrible.

Je pars à moins de 200 mètres, dans un hôtel que m’avait recommandé Ana (du Brésil, rencontrée sur la Isla del Sol il y a un mois ! t’as déjà oublié ? pfff …). Cet hôtel est un petit musée d’art moderne à lui tout seul, il héberge régulièrement de jeunes artistes, les couloirs et chambres sont remplies d’œuvres d’art. Le bâtiment est splendide, telle une grande maison de maître ultra-colorée, chaleureuse, avec un personnel aux petits soins (ça c’est vrai à peu près partout en Argentine !). S’y ajoute un grand bar, lui aussi plein de peintures modernes, et une terrasse gigantesque. Tous les deux soirs se donne une exposition, un concert, un film projeté sur le film de la terrasse.

Une fois installé, je rejoins Iñigo et Valentine pour arpenter le marché dominical de San Telmo. C’est un marché aux antiquaires, essentiellement, sur la Plaza Dorrego, et sur toute la rue Defensa jusqu’au centre, au moins un kilomètre. Des shows de tango se tiennent un peu partout sur la place, dans la rue, demandant juste une petite pièce aux spectateurs.




Arrivés sur la Plaza de Mayo, Valentine nous quitte. Iñigo et moi cherchons désespérément un bus pour rejoindre la Boca, fameux quartier populaire réputé pour avoir vu Madonna grandir, et pour son équipe de foot Boca Juniors. Nous voulions absolument voir le match de ce dimanche mais il a été décentralisé vers un autre stade, donc sans intérêt pour le prix demandé.

L’essentiel du quartier est dangereux pour les touristes, sauf une poignée de rues près des quais, avec notamment Caminito. Dans cette rue toutes les maisons sont bariolées de nombreuses couleurs, chaque restaurant a son spectacle de tango sur le trottoir. C’est ultra-touristique, c’est bondé de monde, mais ça reste incontournable. Pendant qu’Iñigo drague une équatorienne puis une chilienne, j’admire le spectacle donné sur la terrasse où nous sommes attablés.




Retour à l’hôtel, Candido et son amie argentine, Iñigo, Valentine et moi-même optons pour le petit resto de quartier au coin de la rue. Le patron se fait un petit bœuf avec des amis à lui, autour du vieux piano, nous nous envoyons une belle parrilla arrosée de rouge, ce resto est un bonheur. Heureusement la conversation se fait dans un espagnol assez lent, Valentine et moi nous accrochons pour suivre et participer.
Une fois de plus je tombe de fatigue, mais pour une fois j’arrive à refuser la proposition de poursuivre dans un bar. Un vraie prouesse de ma part …

Plus ou moins reposé, je retrouve Valentine le lendemain pour visiter la Recoleta, un quartier très chic de BsAs. Certaines rues font clairement penser aux quartiers chics de Paris, comme l’avenue Montaigne. On ne peut pas dire que cet endroit soit vraiment pittoresque, je le trouve plutôt dénué d’âme à cause de son luxe, mais son principal centre d’intérêt est son cimetière : de tout temps les familles riches de Buenos Aires y ont affiché leur statut, enterrant leurs proches dans de petites chapelles rivalisant de luxe. Absolument toutes les personnalités sont enterrées ici, et notamment Eva Peron, la figure légendaire de l’Argentine. Bizarrement elle est enterrée dans la chapelle relativement modeste d’une autre famille, au lieu d’avoir une chapelle à la hauteur de sa gloire. Le fait que sa carrière politique l’ait tournée vers les plus pauvres y serait pour quelque chose.




Le temps passe vite et nous n’avons pas visité grand-chose, mais nous repartons vers San Telmo. Après avoir difficilement trouvé le bon bus, nous essayons désespérément de savoir où descendre, et nous retrouvons à l’autre bout de la ville, beaucoup trop loin mais heureusement sur une ligne de métro. J’évite à Valentine de se faire heurter par un bus, elle trébuche sur un chien, puis emmène dans sa chute une brave dame, évitant tout juste de s’effondrer sur un étal à bonbons. J’ai vu la scène quasiment au ralenti, à mourir de rire.

Ce soir c’est Valentine qui renonce à sortir. Je cherche un spectacle de tango, que je trouve dans le Bar Sur, le lieu le plus ancien et le plus célèbre, avec ses photos de personnalités à l’extérieur : politiques argentins ou internationaux, acteurs … Antje, étudiante allemande à Lima, et accessoirement copine de dortoir, m’accompagne.




C’est un petit bar sombre mais très authentique, tant par la façade qu’à l’intérieur. J’ai l’impression d’être à Paris, à Montmartre même. Il faut éviter de s’étrangler avec le prix du spectacle, et des consommations surtout, mais c’est assez chouette. Nous terminons dans un petit resto sur la Plaza Serrano, décidément mon lieu préféré à BsAs.

Le lendemain, beaucoup de monde s’en va : Antje repart à Lima, Iñigo part vers la Patagonie, Candido part vers l’Uruguay. C’est toujours comme ça à chaque étape, mes séjours à chaque étape chevauchent ceux des autres voyageurs, tous les jours je fais connaissance avec au moins une personne, et je dis au revoir à au moins une autre. Certains jours il y a des impressions de vide, rapidement comblé.

Valentine est encore là, nous décidons d’aller voir les parcs du quartier de Palermo : le parc botanique, superbe mais où il vaut mieux surveiller son sac, le zoo avec quelques beaux animaux, et le jardin japonais, mignon mais encerclé par la circulation et donc pas vraiment zen. A ce stade il y a une expérience culturelle qui nous manque : la dégustation du mate. C’est un rituel social incontournable, comparable au thé à la menthe au Maroc, les argentins se baladent partout avec leur tasse et leur thermos, et malgré cela peu de bars le proposent.

Mon guide en indique un dans le quartier, c’est le moment. Après quinze minutes de marche, nous découvrons que l’endroit en question n’existe plus. Je ne compte plus le nombre de fois où ça m’est arrivé dans ce voyage, entre les erreurs d’adresses des guides et les endroits fermés, ça devient lassant …

Soirée tranquille pour une fois, à l’hôtel, une des filles travaillant à la réception nous donne un petit concert au bar. La soirée se termine sur la terrasse, je fais la connaissance de Colleen, une irlandaise un peu éméchée et bien sympa, que je retrouverai peut-être en Nouvelle-Zélande puisqu’elle est déterminée à s’y installer. Deux heures après une longue discussion politique avec elle, je découvre qu’elle dort en fait dans mon dortoir, ayant fui un autre dortoir à cause d’un énergumène peu délicat …

Le lendemain matin est très pluvieux, pendant plusieurs heures. Je tente de m’incruster dans une leçon d’espagnol, mais le niveau est trop débutant, j’esquive vite. La pluie tombée, je décide enfin de m’aérer et repart pour une longue marche urbaine, comme à mon habitude, sans innover beaucoup sur l’itinéraire. Je trouve quand même un bar qui sert du mate, le serveur voit vite que c’est ma « première fois » et m’explique tout le processus, et me propose de me prendre en photo. C’est très fort, surtout le début, j’ai l’impression de brouter de l’herbe, malgré le sucre que j’ai ajouté de façon bien peu orthodoxe. Je réessaierai … plus tard, plus tard. Ma soirée ? oubliée, je ne me souviens plus !

Le lendemain, je décide de sortir enfin de la ville et pars pour Tigre, ville située sur le delta, à une trentaine de kilomètres en banlieue. J’y vais avec Markus, un allemand rencontré la veille dans l’hôtel. Après un trajet interminable en bus, nous montons dans un petit train qui s’arrête dans des petites gares mignonnes comme tout, dans une banlieue assez aisée qui paraît être un petit paradis, au bord de la mer.

Nous arrivons à Tigre. Markus est blanc comme un linge, et décide de repartir tout de suite, faute de pharmacie ouverte. Je lui décerne ma palme du copain de voyage le plus éphémère ! Je monte sur un bateau qui propose le tour des canaux, et entre dans un monde à part. Les canaux sont bordés de petites maisons, avec une belle pelouse et un ponton pour le bateau, seul moyen de déplacement. Sur la rive droite un club chic de rameurs, à gauche un homme qui part au boulot pose sa mallette dans le bateau encore suspendu. Un bateau de transport scolaire dépose deux fillettes sur le ponton devant leur maison. Des petites plages, un ponton en travaux, monté par un bateau-grue, des collectivos.

Toutes les maisons sont hors de l’eau, en bois et sur piliers pour éviter les inondations, même le court de tennis est surélevé. On croise le Museo Casa Sarmiento, du nom d’un président argentin qui a vécu ici ; sa maison est emprisonnée dans une grande structure transparente, apparemment pour la préserver. Les pelouses sont manucurées, leur vert forme un beau contraste avec la couleur des maisons et l’eau brune. Certaines maisons sont splendides. La jeunesse dorée fait du ski nautique.




En passant près de la sortie du delta, on aperçoit Buenos Aires au loin, comme posée sur l’eau. Quittant le « quartier » le plus soigné et huppé, on rencontre des épaves massives, penchées dans l’eau. Une station essence pimpante pour bateaux, ressemblant à s’y méprendre à une station classique pour voiture. Une épave sert de squat, pour témoin le linge étendu. Un hangar à bateaux ressemble à une étagère géante à quatre niveaux.

Le tour en bateau se termine, je m’offre encore une balade en ville pour visiter le Museo de Arte Tigre, qui vaut surtout pour le splendide palais qui l’abrite, directement sur la rive d’un canal. Photos interdites à l’intérieur, arrrrgh !! Encore une longue promenade le long du canal principal et je regagne le centre pour prendre un train vers Bs As. L’Argentine est un pays bien plus cher que les autres visités jusqu’ici, probablement le deuxième plus cher après le Chili, mais le prix des transports en commun est ridiculement bas.

Soirée calme à l’hôtel, on diffuse un film d’auteur assez bizarre. Le ciné me manque mais ce n’est pas une raison pour perdre mon temps précieux devant ce film. Je ne recroise pas Markus, il doit être au fond de son lit. Après quelques hésitations je fixe mon départ de Buenos Aires au lendemain, sept jours c’est bien peu pour une ville si grande et où je me sens si bien, mais il faut que j’avance. Et je sais que je reviendrai ici, c’est obligé. Quand je pense à tout ce que j’ai raté, ou vu trop vite, depuis le début de ce voyage, quand je pense à tous les pays recommandés par d’autres voyageurs et que je ne pourrai visiter, je peux déjà écrire l’itinéraire d’un deuxième voyage, avec les mêmes continents dans le même ordre.

Je profite du dernier jour pour m’offrir une dernière grande randonnée urbaine. Je choisis mal mon jour, c’est une vraie fournaise dans les rues. Premier passage par Retiro pour acheter mon billet de bus pour le soir même. En Argentine, pas de stress pour trouver son billet, de nombreuses compagnies proposent le même service et confort pour les mêmes destinations aux mêmes horaires, au même prix, on trouve donc toujours une place même en dernière minute. Une large concurrence mais une offre quasi-unique, c’est du capicommunisme ?

De Retiro je parcours la longue avenue Santa Fe, quatre voies bordées de commerces, beaucoup de monde. Au bout de trente minutes sur cette avenue, ayant parcouru seulement une partie de la distance jusqu’à mon objectif, je prends la mesure de cette ville. Sur le plan, ce que j’ai marché ne représente rien. J’entre dans la librairie El Ateneo, un ancien théâtre réaffecté avec goût et parfaitement conservé. C’est impressionnant !




Un petit bout de métro pour m’aider et j’arrive à Palermo Viejo, que j’avais brièvement vu la nuit une semaine avant. C’est le quartier branché, plein de bars et de restaurants, mais il vaut surtout le coup d’œil pour le cachet de ses rues et de ses façades, même si à mon avis il n’arrive pas à la cheville de San Telmo. Je m’affale bien vite sur une terrasse et finit par repartir à l’hôtel, tout content de savoir trouver le bon bus sans avoir à demander, pour une fois.

Cette fournaise devait forcément tourner en orage, c’est l’occasion de prendre de belles photos depuis la terrasse. Les vieux immeubles assombris par les nuages menaçants sont un beau décor. Le vent et la pluie ne me découragent pas de sortir une dernière fois, à peine deux heures avant mon bus : j’ai rendez-vous avec Damien et Elise, déjà croisés à Sucre en Bolivie et dans le bus de San Pedro à Salta. Ils sont à Buenos Aires depuis peu et vivent leurs tout derniers jours de voyage, après neuf mois ! Malgré la pluie je me fais donc un plaisir d’arpenter à nouveau ces rues qui me paraissent si familières : Estados Unidos, Defensa, Peru, Plaza Dorrego … Je n’y ai pas mis les pieds depuis cinq jours et j’ai l’impression que cela fait une éternité. Encore une fois dans ce voyage, j'ai la délicieuse impression de me sentir chez moi.




Le temps de se boire une bière avec Damien et Elise, et de reparler incessamment de voyage (et de retour, snifff pour eux), je file à l’hôtel récupérer mon sac et attrape en urgence un taxi, le bus part dans vingt minutes ! Je pars pour Cordoba, la deuxième ville du pays, sans bien savoir à quoi m’attendre.

Sobre la ruta todavia !
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