Je suis reparti en Argentine ! Bientôt le nouveau blog ...
__________________ENCORE ET ENCORE DES NOUVELLES VIDEOS ICI !! _______________Tour en moto à Can Pho, Prière des moines bouddhistes ...

mardi 30 mars 2010

Luang Prabang, la classe absolue

Je quitte ce petit paradis qu’est Muang Ngoi, et je monte dans la pirogue lourdement chargée en voyageurs et bagages. Assis sur une simple et étroite planche en bois, genoux contre genoux, le trajet d’une heure sur la rivière Nam Ou s’annonce beau mais douloureux. Et effectivement au bout de 20 minutes, une laotienne interpelle le conducteur parce que l’eau monte dans le fond de la pirogue. Le conducteur ne réagit pas tout de suite mais elle insiste, et il finit par accoster sur la rive, sur un banc de boue. Il se lance dans une réparation de fortune en fixant de la pâte sur des planches mal jointes, sur le côté du bateau, et enfonce quelques clous. Personne n’y croit mais tout le monde essaie de garder le sourire, craignant plus pour nos papiers et matériel de valeur que pour notre vie. Si jamais on coule vraiment on devrait pouvoir nager jusqu’au bord. On repart, un passager assis là-même où se trouve le problème fait la grimace, l’air de dire « c’est pas mieux ». Voilà un autre style de galère que je goûte beaucoup moins …

Finalement l’eau à l’intérieur se stabilise, et nous arrivons à Nong Khiaw, autre beau village dans le style de Muang Ngoi, mais relié à la route. Avec quelques autres qui étaient sur le bateau, et quelques jeunes locaux, nous montons dans un bus local, en fait un petit camion avec deux rangées de bancs rudimentaires à l’arrière, sans bâches. C’est parti pour trois heures de trajet à travers les villages, entre les montagnes, sur une route correcte qui ne nous fait pas regretter d’avoir choisi la solution la plus rustique. Le paysage n’est pas saisissant, mais c’est rafraîchissant d’être là à l’arrière, profitant du décor sans le filtre d’une vitre de bus.




Nous arrivons à Luang Prabang par un temps gris et lourd, à peine sorti du camion je saute dans un tuk-tuk avec quelques autres, direction le centre. Je n’ai pas beaucoup de bonnes adresses, c’est parti pour une longue marche en ville avec mon sac. Je commence à découvrir la beauté tant vantée de cette ville. C’était la capitale du Laos du temps de l’Indochine française, c’est maintenant la deuxième ville du pays après Vientiane, mais peut-être une des plus belles villes au monde par son élégance. Sa beauté s’explique essentiellement par deux choses : les innombrables et magnifiques temples bouddhistes, et l’architecture franco-coloniale qui date de l’Indochine. Tout cela a été parfaitement préservé contre les dangers de la modernisation et du tourisme de masse.

De ce fait les prix s’en ressentent, on trouve de vieilles guesthouses, avec du cachet mais vraiment défraîchies, pour un prix déjà supérieur à la moyenne. Et dès qu’on attend un confort correct, avec une salle de bains acceptable, là ça grimpe très vite. Comme j’en ai marre de chercher et de transpirer avec mon sac, j’en choisis une vraiment vieille, avec chambres séparées par de fines cloisons en bambou et salle de bains déglinguée, pour un prix juste correct. A elle seule cette maison résume Luang Prabang : une architecture franco-coloniale typique de l’Indochine, un cachet fou avec ses vieilles boiseries foncées et parquets tordus, mais un état de conservation qui reflète l’usure du temps et la pauvreté du pays, et des palmiers autour, sous la torpeur du soleil embrumé et la lourdeur du climat asiatique.




Sous l’orage qui menace, je file dans un café utiliser le wifi, pour montrer que je suis encore vivant après de longs jours sans internet (pour mon plus grand bien). Et en consultant mes mails, mon intuition se confirme : Nikki, que j’ai quittée à Sapa il y a une semaine, est bien à Luang Prabang. Je la croise une heure après au marché nocturne, avec tout un groupe d’américains, suédois, française … Direction les étals du marché, dans une minuscule ruelle, pour un dîner énorme et pas cher. Buffet de riz, noodles, légumes, grillades, les stands de rue sont pour beaucoup dans la gastronomie asiatique, avec toute l’agitation qui règne autour, et malgré les apparences, une certaine hygiène qui maintient l’estomac en bon état.




Le ventre plein et le portefeuille pas vide, direction le Hive, un bar branché. Au fur et à mesure de la soirée, des gens se joignent au groupe, une argentine, des irlandais … Bonne ambiance, mais le bar ferme à 23h30 ! Le bridage de la vie nocturne semble être une des clés de la préservation de Luang Prabang, pour garder un calme approprié à la classe de cette ville. Direction le seul lieu de fête encore ouvert, le bowling, dans un quartier périphérique, en tuk-tuk. Au risque d’être un peu condescendant, je suis assez étonné de trouver un bowling moderne avec tout l’équipement informatique habituel. Il y a un bruit effrayant à l’intérieur, tout ce que la ville compte de jeunes backpackers pas-prêts-à-dormir est ici, et nous sommes douze sur la même piste, jouant chacun une fois toutes les 15 minutes. Mais à part ça, bonne soirée. Au retour il faut négocier sec avec les tuk-tuks qui veulent profiter de notre éloignement, mais on s’en tire. Une fois descendu du tuk-tuk et quitté tout le monde, je m’offre une petite balade dans le centre de Luang Prabang, en pleine nuit, pour goûter encore mieux à l’extraordinaire sérénité de la ville.

Je suis réveillé à 5h par un chant superbe et légèrement éloigné, apparemment ce sont des moines bouddhistes qui chantent. Je me dis que je devrais me lever et aller voir, mais mon demi-sommeil me tient fermement et me remet la tête sous l’eau pour trois heures. Après un bon petit déj’, je retrouve Nikki et nous nous mettons en recherche d’une autre guesthouse. Nous trouvons le plan parfait : seuls clients dans une belle maison, au calme devant la rivière, avec la meilleure douche trouvée depuis une éternité. Voilà un séjour qui démarre plutôt bien à Luang Prabang …

Le temps de goûter à un plat de bambou un peu décevant, je laisse Nikki à ses objectifs du jour et pars flâner en ville. Je traverse les petites ruelles fleuries du marché des produits frais, puis je descends vers le Mékong, ne me lassant pas de prendre les maisons en photo, visiter les galeries photo, visiter un petit temple, puis un autre temple grand et somptueux … et je reviens par l’autre côté de la péninsule, le long de la rivière Nam Khan. Partout, le silence, la tranquillité, l’élégance. Il y a très peu de trafic, on est bien malchanceux si l’on entend un coup de klaxon dans la journée. Les chauffeurs de tuk-tuk proposent leurs services à chaque fois qu’on les croise, mais il suffit de répondre non avec un sourire et ils n’insistent pas (le soir leur proposition se fait plus complète : « Tuk-tuk, weed, opium, marijuana ? »).




La colonisation est forcément contestable dans le principe et dans les faits, puisque l’occupant a une certaine tendance à piller les ressources sous prétexte d’amener l’instruction et la modernité. Mais dans le cas de l’Indochine et spécifiquement de Luang Prabang, en tant que français il est difficile de ne pas être fier lorsque l’on voit ce qu’on y a laissé. La France de l’époque a largement tiré profit de ses colonies, mais aujourd’hui le Laos tire une grande richesse, touristique essentiellement, de cet héritage. Il suffit d’ouvrir le Lonely Planet pour voir que le mot français est répété sur au moins chaque page, toujours pour indiquer un bel endroit à visiter ou le charme d’une ville, alors que les touches modernes ajoutées depuis, sont souvent décriées pour leur manque de goût voire leur aspect kitsch (notamment au Vietnam).

(Suite du quart d’heure chauvin, désolé mais ça fait du bien)
Cette french touch est démultipliée à Kuang Prabang. Les maisons sont d’une classe folle et nous replongent dans l’ambiance délicieuse et raffinée de l’Indochine, ses belles villas, ses grands hôtels. Je l’ai déjà écrit mais il faut que je revoie le film Indochine. Certaines maisons sont parfaitement restaurées, et accueillent un hôtel huppé au goût irréprochable, d’autres sont défraîchies, ont perdu leur blanc d’origine, mais sont encore plus belles. Cette couche de saleté témoigne de leur âge, elle colle avec une certaine image de l’Asie. L’histoire transparaît mieux au travers de ce vieux bois et de ces façades blanches et sales.




Le temps de me reposer un peu et de m’occuper du blog (écrire, trier-retoucher-renommer les photos … de plus en plus une corvée), je pars dîner sur les étals du marché nocturne avec Nikki et Ross, un anglo-iranien  plus âgé. Nous retrouvons tout le reste du groupe, et après un nouveau dîner gargantuesque pour vraiment pas cher, direction l’Utopia, bar exotique dominant la rivière, pour fêter la Saint Patrick. Bière verte pour respecter la tradition, alcool de serpent pour rester local … encore une fois le groupe grandit à vue d’œil, des gens viennent s’agglomérer à la table … belle soirée encore mais terminée tôt, restrictions locales obligent.

A peine quatre heures plus tard, il faut se lever. Avec Nikki nous avons décidé d’assister à l’offrande aux moines, un spectacle à ne pas rater. Tous les matins au lever du soleil, les moines se mettent en procession, regroupés selon leur temple d’appartenance, et défilent dans la rue principale Sivangvong. Le long des trottoirs, des locaux et des touristes sont accroupis et leur offrent de la nourriture, presque uniquement du riz collant et des bananes. Ils viennent sans un mot, avec une grande urne, l’ouvrent devant chaque personne accroupie, et continuent à marcher sans un mot ni sourire. Quand l’urne est pleine, ils en rendent pour pouvoir continuer à accepter de tout le monde. C’est leur seule ressource pour manger. Pour éviter que cette procession devienne la parade de Disneyland, on voit régulièrement des posters expliquant aux touristes ce qu’ils peuvent faire et ne doivent pas faire pour respecter la solennité du moment, règles plus ou moins respectées à cause de la tentation de faire la plus belle photo possible.

Bref nous sommes là à 5h, sur les conseils d’un jeune novice avec qui Nikki a discuté hier, et nous sommes quasiment seuls dans la rue, il ne se passe rien. Les novices et moines sont censés chanter avant la procession, comme je l’avais entendu de mon lit le matin précédent, mais la ville est toujours plongée dans un silence et un noir parfait. Nous retrouvons Erika, une autre américaine, et attendons, régulièrement sollicités par les femmes qui veulent nous vendre du riz, faisant un business de cette procession. D’ailleurs les posters eux-mêmes disent qu’il ne faut pas leur acheter, et hier le novice a insisté auprès de Nikki  pour qu’elle ne leur achète rien. Au bout d’une heure un premier groupe de moines apparaît, longeant le long mur blanc d’un magnifique temple, et prennent leur ration de riz des premières personnes accroupies. Puis d’autres groupes arrivent, plus fournis, et ce sont des centaines de moines qui marchent en file indienne dans la rue, créant une image spectaculaire dans la lumière encore faible du petit matin. Une fois tous passés, nous les retrouvons dans une petite rue parallèle, repartant dans l’autre sens, et la cérémonie se termine comme ça, sans tambours ni trompettes. Les moines et novices font ça TOUS LES JOURS, sinon ils ne mangent pas.




Erika nous quitte, elle prend un avion dans deux heures. Avec Nikki, direction une petite boulangerie française pour un petit déjeuner sans fin, les discussions passant des profils de voyageurs au 11 septembre. Le genre de grandes discussions qui prennent dans une soirée, mais là c’était au petit-déj’, pendant trois heures, en observant la ville se réveiller doucement.

Nous rejoignons Matt et Jeff, encore des américains, pour aller visiter la grotte Pak Ou. On saute dans un tuk-tuk pour 30 minutes de trajet, on visite un petit temple où l’on rencontre un vieux moine édenté qui se marre dès qu’on dit un mot, on se fait brièvement inviter à boire une bière avec des laotiens attablés, et on monte dans une pirogue pour traverser le Mékong et arriver à la grotte. Une première cavité superficielle où l’on trouve des centaines de minuscules statues de Bouddha, laissées là par les pélerins, et une seconde vraie grotte avec deux salles, un autel et un Bouddha … et c’est tout ! Il y a des jours où l’on voudrait brûler son Lonely Planet, pas foutu de donner des indications sur l’importance et l’intérêt d’un lieu, et de dire s’il en vaut le déplacement et l’argent. Parce que sur le coup le déplacement n’était pas franchement donné. On a beau devenir sélectif et méfiant sur les sites à visiter, on a beau savoir lire entre les lignes du Lonely Planet, on se fait encore avoir de temps à autre par une visite vraiment nulle.

Nous retournons donc vite à Luang Prabang, où je décide de rattraper le coup en visitant quelque chose de bien en ville. Je retrouve justement Cintia, une argentine, qui veut visiter le Musée National. On nous fait payer l’entrée sans nous préciser que nous avons vingt minutes avant la fermeture ... sympa ! Il faut donc visiter au pas de course un musée qui expose tout ce qui se rapporte aux anciens rois, dans le palace où ils ont vécu. Quelques belles pièces mais pas le musée du siècle. Et pas de chance, le splendide temple à l’entrée est en réfection. Ils ont poussé l’élégance jusqu’à utiliser un échafaudage en bambou, qui le rend presque encore plus beau.




Nous poussons donc vers un musée d’art supposé gratuit pour se rattraper, mais il n’est pas gratuit et nous en avons marre de payer 3 $ par ci, 4 $ par là pour des sites oubliés juste après, donc direction un café cozy pour parler de l’Argentine devant un pichet de bière. Voilà deux valeurs sûres tiens, j’aurais dû y venir plus tôt !

Je laisse Cintia sur de grandes considérations sur la musique argentine, et le temps de raser mon épaisse et récurrente barbe, je retrouve tout le monde pour une soupe de noodles près du marché nocturne, lieu incontournable le soir à Luang Prabang. Coucher tôt et lever encore matinal, pour prendre le petit-déj’ avec Nikki, Matt, Jeff et Cintia qui sont allés voir l’offrande aux moines. Direction la boulangerie française forcément, pour des croissants à mourir. C’est ça aussi l’avantage d’être dans une ancienne colonie française : les villes regorgent de restaurants, cafés ou boulangeries français.

Cette fois-ci, le petit-déj’ sera plus court, Nikki a décidé de poursuivre vers le nord, alors que j’ai décidé de m’attarder à Luang Prabang et de descendre vers le sud puis vers le Cambodge. Donc pas sûr qu’on se recroise en Thaïlande. En fait tout le monde s’en va aujourd’hui, quelques-uns étant déjà partis les jours précédents. Seule Cintia reste … jusqu’à ce soir.

Puisque Nikki s’en va, la magnifique chambre près de la rivière devient trop chère pour moi et je dois chercher une autre guesthouse. Après avoir refusé l’offre très directe d’un gérant qui me proposait de partager sa chambre, je trouve par chance un hôtel fait de dortoirs impeccables, lits énormes et pas chers. Je ne pensais pas que ça existait à Luang Prabang, la ville des guesthouse chicos ou défraîchies. Je n’avais pas eu de dortoir depuis Hanoi, ça commençait à me manquer. Je retrouve Cintia pour retourner au Musée National et voir ce qu’on a loupé la veille, et nous décidons qu’un séjour à Luang Prabang ne saurait se terminer sans un massage. J’opte pour la formule censée être la plus douce, je me retrouve massé par un homme puissant qui me massacre le dos. Plus il y a d’offre dans une ville, plus le risque est grand de tomber sur des masseurs improvisés.

Quelques essais de photo sur le soleil rouge qui se pose sur le toit d’un temple, une dernière bière près du Mékong, et c’est maintenant Cintia qui s’en va, la dernière de tous ceux que j’ai rencontrés ici. Le chemin d’un voyageur seul a beau être rythmé par les rencontres et les au-revoirs, ça fait un peu bizarre de se retrouver planté là seul alors que j’ai passé plusieurs jours avec tout un groupe. Je me dis que je ferai bien de nouvelles connaissances sur les grandes tables du marché nocturne, mais non ce soir c’est assez calme.




Le lendemain je m’offre un long petit-déj-wifi au café l’Utopia, petit eden perché au-dessus de la rivière, et me décide enfin à visiter les principaux temples, à commencer par le Wat Phu Si, perché au sommet d’une grosse colline arborée en plein milieu de la ville. Le temple n’est pas remarquable mais la vue est splendide, presque à 360°. Je vais ensuite me perdre dans les petites ruelles, entre les villas françaises et les maisons traditionnelles Lao en bois et bambou. De retour sur la rue principale Sakkarin, j’entre à nouveau dans un de mes temples préférés, et entend des chants venant d’un des bâtiments. Cela ressemble fortement à la prière des moines, et les curieux sont libres d’y assister, tableau de recommandations à l’entrée de vigueur. Un vieux moine est en position de méditation, surélevé, face aux jeunes moines et novices qui chantent sans s’arrêter, un chant répétitif mais assez beau. Ils ont tous une position spécifique, leurs pieds (impurs selon la religion) soigneusement cachés sous la tenue orange. C’est réglé comme du papier à musique, de temps en temps un seul moine chante pendant quelques secondes, rapidement accompagné par les autres moines et novices. Mais derrière cette solennité, ce protocole bien établi, il y a une étonnante liberté des moines, j’en vois certains arriver bien après les autres et prendre leur place, d’autres sortir. Voyant que le chant se répète inlassablement, et fatigué par ma position par terre qui m’empêche d’avoir les pieds pointés vers les moines (sacrilège, offense !), je finis par sortir, et continue le long de la rue Sakkarin. Dans cette partie très calme et excentrée de la rue, presque une adresse sur deux est un temple. Je jette un coup d’œil rapide dans chaque et trouve à chaque fois la même cérémonie de chant, avec ou sans un vieux moine en position de (quasi) lévitation.




J’arrive au bout de la rue et au bout de la péninsule, je traverse la rivière par un pont en bambou, et je marche jusqu’à un village spécialisé dans l’artisanat textile. A peine sorti du centre ville ultra-raffiné, on se retrouve dans la vision classique du Laos : cabanes précaires en bois et bambou, chemin de terre accidenté en guise de rue … J’arrive un peu tard, le soleil se couche, mais je vois tout de même une ou deux boutiques élégantes, et deux femmes en train de tisser sur des métiers énormes en plein air. Dans la cour d’un temple, je prends deux ou trois clichés de deux petites filles qui ne demandent que ça, et je rentre vers le centre dans le noir.

Un temple éclairé avec goût attire mon regard, et j’y rencontre trois novices. Ils parlent un peu anglais et sont contents de pouvoir le pratiquer avec moi. C’est l’occasion d’en savoir plus. J’apprendrai surtout qu’ils n’ont pas l’intention de devenir moines. Ils n’ont absolument pas la vocation mais sont là surtout pour la qualité de l’éducation, qui est payée par leurs parents alors que le logement est fourni dans l’enceinte du temple et la nourriture obtenue par l’offrande matinale. Ils me listent les différentes restrictions de leur vie de novice, uniquement 10 principes alors que les moines en ont 220, et me précisent qu’ils ne prient (ou méditent ?) que trente minutes par jour. Ils me posent les questions usuelles que l’on pose à tout voyageur, un peu par curiosité et beaucoup pour exercer leur anglais, et je finis par m’en aller, content d’en savoir un peu plus.

Après une ou deux heures de recherche d’information, et d’indécision complète, je décide de quitter Luang Prabang plus tôt que prévu, dès le lendemain, malgré mon adoration absolue pour cette ville, et alors que mon objectif de profiter des différents cafés cozy pour rattraper le retard sur le blog, n'est absolument pas atteint. Avoir profité d’une ville superbe avec tout un groupe de voyageurs, et se retrouver finalement seul, m’empêche d’en profiter encore et me décide à poursuivre ma route. En plus je sais qui je vais retrouver à l’étape suivante, même brièvement. Une dernière soupe de noodles, un dernier tour au marché nocturne rempli d’artisanat de bon goût, une bonne nuit, une dernière séance photos à l’offrande des moines au petit matin et un dernier coup d’œil nostalgique à la classe absolue de Luang Prabang, et je saute dans un mini-bus, direction … l’inverse parfait, la décadence et la non-culture !
-
-

vendredi 26 mars 2010

Le vrai voyage, du Vietnam au Laos

Je quitte Sapa au petit matin, une moto m’emmène à l’arrêt de bus par un temps toujours brumeux et glacial. Il est temps de retrouver de meilleures températures plus au sud, je n’ai plus de vêtement chaud à porter depuis que j’ai perdu ma micro-polaire dans quelque hôtel backpacker d’Australie. Et je me sens un peu bibendum lorsque je porte mes six tee-shirts à la fois …

La destination : Dien Bien Phu, connue pour la débâcle française, mais pour moi surtout porte de sortie du Vietnam, pour entrer au Laos. Le bus est bien vieux et bien pourri, rempli essentiellement de locaux sauf deux jeunes frère et sœur allemand qui m’apportent un peu de compagnie. C’est amusant comme parfois je me rassure de ne pas être le seul voyageur, lorsque je fais des choix de voyage un peu originaux. Et comme parfois je suis heureux d'être le seul voyageur au milieu des locaux. Bref je ne sais pas ce que je veux !

Le bus quitte Sapa et s’engage dans les lacets de montagne. Cette route est supposée être l’une des plus belles du Vietnam, mais nous n’y voyons pas à 20 mètres dans ce nuage. Rapidement de la fumée entre dans le bus, en provenance directe du moteur. Comme je suis assis à l’arrière, je suis le premier à en profiter. Nous finissons par appeler l’assistant du chauffeur et lui montrer, il fait signe que tout va bien. La fumée est brune, l’air devient irrespirable, le mal de tête commence, je suis obligé de pencher la tête par la vitre pour respirer, laissant l’air glacial s’engouffrer dans le bus. Je finis par croire que le moteur va prendre feu, là juste cinquante centimètres derrière moi, mais l’assistant n’est toujours pas disposé à s’arrêter. Finalement la route se fait moins pentue, le chauffeur n’utilise plus le frein moteur, et la fumée s’arrête. Une petite pause dans un patelin, devant un resto couleur locale qui n’inspire ni moi ni les deux allemands, et nous repartons. Nous avons eu tort de ne pas manger quelque chose, le reste du trajet va s’avérer encore plus difficile, d’une manière différente.

Les cinquante kilomètres suivants sont plutôt agréables, dans une vallée bordée de montagnes imposantes. Mais rapidement nous arrivons dans une zone de travaux, que nous n’allons pas quitter pendant trois heures. Des dizaines de kilomètres de routes en cours de construction, de bulldozers, d’ouvriers travaillant à la main sur le bord de la route, de camps pour les travailleurs. Une énorme centrale hydro-électrique est en cours de construction, et la vallée va être inondée d’ici 2 à 3 ans. Villes à engloutir, routes et ponts à reconstruire plus haut. Trois ou quatre heures à rouler dans la poussière et la saleté, sur des routes de terre défoncées, en traversant des villages où les gens vivent dans une atmosphère irrespirable et au rythme des camions. Comme en plus leur village va disparaître à court terme, on se demande ce qu’ils font ici, sinon travailler directement ou indirectement pour le chantier.




Après avoir quitté la zone de travaux, vu un camion couché sur son tas de pierres, et terminé par une route normale, nous arrivons à Dien Bien Phu après dix heures difficiles, avec presque rien à manger, les jambes comprimées par le manque de place (ici les bus sont vraiment faits pour les asiatiques).

Je partage une chambre avec Bioas et Salomé, les deux allemands, et après avoir difficilement trouvé un restaurant local correct où l’on puisse communiquer, nous partons rapidement au lit après avoir réclamé une autre chambre parce que l’autre était peuplée de souris. Je pensais enchaîner le lendemain avec un bus très matinal vers le Laos, mais c’est au-delà de mes forces et je vais m’offrir une petite leçon d’histoire française en visitant Dien Bien Phu.

Le lendemain matin, changement d’hôtel, et je pars découvrir la ville avec Salomé et Bioas. Dien Bien Phu est clairement hors des itinéraires touristiques, et ça se voit : encore plus qu’ailleurs au Vietnam, les gens sont étonnés de nous voir, les enfants n’arrêtent pas de nous dire « Hello ! » avec un grand sourire. En haut des escaliers de la tour de radio, dominant la ville, c’est surtout Salomé qui représente l’attraction pour les touristes asiatiques, sa peau très pâle et ses cheveux blonds sont leur idéal de beauté. Ils veulent absolument se faire prendre en photo avec elle et Bioas, les tenant fermement par la taille. Tandis que moi avec mes cheveux bruns et ma peau assez bronzée, ils ne me calculent même pas.




Les horaires d’ouverture des musées étant pourris comme partout au Vietnam, nous pouvons juste aller voir un vieux pont français préservé, et nous rencontrons deux jeunes parisiens qui parcourent le pays à moto. Direction le seul vrai resto de la ville, où nous payons assez cher un plat fait des pires morceaux d’un poulet. Et les musées rouvrent enfin, nous visitons celui de la guerre, qui montrent quelques belles photos mais commentées de façon très naïve et patriotique. On enchaîne avec le cimetière des soldats vietnamiens, quasiment tous sans identité. Et on termine par la colline Eliane qui a vu les affrontements les plus féroces entre français et vietnamiens. Tout le réseau de tranchées a été reconstitué, c’est criant de vérité et c’est étonnant de voir que cette colline est maintenant entièrement encerclée par la ville. Nous faisons un petit tour par le supposé bunker où s’est suicidé le général français Pirot, en fait un simple panneau, et rentrons à l’hôtel sous la chaleur écrasante. Après le froid glacial de Sapa le contraste est rude. Une dernière soupe de noodles dans un resto local avec Salomé et Bioas, et je leur souhaite bon voyage puisque je pars très tôt le lendemain matin. Ce n’était pas désagréable d’avoir de la compagnie dans une ville comme celle-là …

Je me lève aux aurores, au son d’une étrange et forte musique venant de la rue, apparemment diffusée pour la gymnastique des bons camarades patriotes. En sortant à 5h, je ne vois personne faire sa gymnastique, la rue est déjà bien active. Cinq minutes de marche vers la station de bus, et je vois qu’il y avait peut-être un peu plus de voyageurs que je ne le pensais, une quinzaine d’autres voyageurs sont également venus de Sapa la veille et prennent le même bus pour entrer au Laos, en plus de quelques locaux. Le bus est le pire que j’aie eu en huit mois de voyage, il y a exactement vingt centimètres entre chaque siège. Coup de chance, je n’ai pas de voisin, mais même en m’étalant sur deux places j’ai du mal à trouver une position tenable. Le bus part et s’arrête à peine dix kilomètres plus loin pendant une demi-heure, c’était bien la peine de partir si tôt. Après avoir gravi une route de montagne dans l’aube brumeuse, nous arrivons au poste de frontière vietnamien. C’est une formalité pour nous, et pour un douanier c'est l’occasion de s’enrichir en proposant de changer nos derniers dongs à des taux scandaleux.

Je sors donc du Vietnam, après six semaines à le parcourir du nord au sud. J’étais arrivé un peu méfiant, à cause de nombreux échos négatifs reçus d’autres voyageurs. J’en sors ravi, n’ayant vu quasiment que des gens gentils, souriants, toujours étonnés de voir un étranger alors ils en ont vu beaucoup avant, des gens voulant payer mon droit d’entrée sur un site sans même avoir discuté avant, des enfants lançant des Hello énergiques et souriants … J’oublie bien volontiers l’insistance des cyclos, motos et femmes Hmong de Sapa, la chaleur limitée (qui a des avantages) des habitants d’Hanoi, les petites tentatives d’arnaque (que l’on trouve bien banales quand on a voyagé un peu). Ce pays a été un vrai plaisir à visiter, bien que je m’attendais à être plus impressionné par les paysages dans l’ensemble. J’ai aussi été subjugué par la magie du Delta du Mékong, le décor surréaliste de Hoi An, la grandeur de la Baie d’Ha Long, l’authenticité des villages dans les montagnes du nord. Que du bonheur donc, mais je le quitte sans trop de regret parce que je sais que je vais vers encore mieux, le Laos.

Justement le voilà le Laos. Juste après le poste vietnamien, le bus passe le col et la route asphaltée devient un chemin de terre. Autour, des montagnes raides tapissées d’une végétation anarchique. Le bus s’arrête très vite devant un panneau indiquant des travaux. A cent mètres, des bulldozers en action, et pas de route. La route n’existe tout simplement pas ou plus, effacée par les coups de pelleteuse. Le chauffeur doit avoir l’habitude et nous fait descendre, il nous demande de marcher jusqu’au poste laotien pour faire les visas, parce que l’attente va être longue. Belle galère qui commence, le bulldozer s’arrête un instant pour nous laisser passer, et nous voilà à pied en pleine montagne laotienne. Ma première pensée est donc « Quelle galère », immédiatement suivie de « Mais non, c’est ça le voyage, c’est ça le vrai voyage, ces situations inattendues et en principe très désagréables, mais qui laissent les meilleurs souvenirs ». En l’espace de quelques secondes je suis en fait content d’être là, à pied vers un poste frontière en pleine montagne, le bus bloqué par l’absence de route, et je repense au titre de mon blog, citation célèbre de je ne sais plus qui : Le vrai voyage c’est d’y aller, pas d’arriver. Un trajet long et pénible de Sapa à Dien Bien Phu, et deux jours après cette situation dont je ne sais comment ni quand elle va se terminer, c’est le vrai voyage, la « récompense » de choix un peu plus originaux et moins faciles que l’avion. Beaucoup de voyageurs, moi inclus, veulent être de « vrais » voyageurs et se démarquer des touristes de base. Mais à certaines occasions je me suis demandé en quoi je me démarquais vraiment des touristes que je critique facilement, notamment quand je choisissais un tour organisé, par facilité ou par nécessité. Et là je tiens un élément de réponse, tout en continuant à penser que je suis bien peu aventurier. Les transports sont cet élément de réponse, la façon de se déplacer d’une ville à une autre. Je suis dans ce bus local pourri, dans cette galère, et je suis content d’y être. Ne nous réjouissons pas trop vite, mes efforts à faire sont encore nombreux pour être un voyageur non-touriste.



Vingt minutes de marche et nous arrivons au poste laotien, sous le soleil qui chauffe et au milieu de nulle part. Il faut une heure pour avoir le visa, après s’être faits facturer tout une série de frais fantaisistes : heures supp' le samedi, pas de photo, détection H1N1 (une seconde avec un pistolet dur le front) … On en rit parce que ça ne représente pas grand-chose pour nos budgets d’occidentaux, mais on peut dire que les douaniers cherchent à remplir leur poche. Une fois le visa en poche, nous allons attendre au petit café en bambou, installé là très opportunément, et tout ce que le bus compte d’occidentaux fusionne un en joyeux groupe, tous devant une grande bière à 9 heures du mat’, faisant connaissance, partageant nos histoires de voyage. Un voyageur a toujours quelque chose à raconter, les pays qu’il a vus ou qu’il va voir. Il ne s’en lasse pas et ne lasse pas les autres voyageurs.

Une heure plus tard, la table remplie de bouteilles, nous voyons le bus arriver à notre grand regret. Tout le monde lâche un « Oh nooo ! ». Le chemin a été reconstitué et le bus a pu passer. On était bien là, à boire des bières à côté du poste frontière en pleine montagne. Petit voire gros souvenir de voyage !




On remonte donc dans le bus, et il s’engage sur un chemin de terre sinueux et chaotique, en pleine montagne, au milieu de la végétation sauvage. Nous traversons des villages extrêmement simples, les maisons sont faites de bambou et de bois. Le contraste avec le Vietnam est marquant, on peut le considérer comme assez riche et développé par rapport au Laos, un des plus pauvres au monde. Mais c’est juste magique, splendide, et cela nous fait oublier que nos jambes souffrent dans ce bus pourri. L’assistant monte sur le toit en marche, en passant par une fenêtre. Ce détail ajouté à l’ambiance tropicale, me fait immédiatement penser au trajet en bus entre Manta et Puerto Lopez, en Equateur. Mon tout premier trajet en bus et peut-être le plus beau et le plus folklorique. Sur la route, certains enfants font des signes timides de la main, mais dans l’ensemble ils sont plutôt circonspects.

Etape obligée de tout trajet difficile, la crevaison. L’occasion de constater que le pneu était méchamment fendu, et qu'il est remplacé par un autre tout aussi douteux. Après l’Equateur, le Pérou et la Bolivie, ça ne me fait plus rien, ça m’amuse. Mais il faut reconnaître qu’au Pérou, même à 4000 mètres d’altitude dans des lacets vertigineux, ils se débrouillaient mieux pour changer un pneu, dix minutes chrono. Ici ils adoptent la technique dite du « je-creuse-en-dessous-du-pneu-pour-pouvoir-le-faire-sortir ». Intéressant mais pas très concluant.

Nous passons d’autres villages tous aussi simples, pauvres et beaux, traversons quelques rivières à gué, et arrivons enfin à Muang Khua, splendide petit village qui vit autour de la rivière Nam Ou, entre deux montagnes. Deux ou trois guesthouses pour les voyageurs, des baraques en bois à flanc de montagne, des bateaux qui permettent de traverser ou poursuivre le voyage, des bus qui font trempette dans la rivière pour être lavés … et un calme, un calme idyllique. Des locaux attendent à moitié endormis devant leur petit commerce de boissons sans essayer de nous faire acheter. D’autres se baignent ou se lavent dans la rivière. Seul le vieux remorqueur noirâtre qui pousse la plateforme d’une rive à l’autre, fait un bruit de fou toutes les vingt minutes.




Une partie du groupe attrape immédiatement un bus pour poursuivre plus au sud, tandis que les six irlandais se lamentent de rester coincés ici pour une nuit. Comme tous les irlandais que j’ai rencontrés, ils sont très sympas et ouverts, mais ils n’ont pas l’air de réaliser à quel point cet endroit est spécial, à quel point la nuit ici va être différente des autres. Pour ma part je reste très indécis sur mon itinéraire, faute de l’avoir préparé, mais je goûte au plaisir d’être ici. Le vrai voyage c’est d’y aller, mais aussi de s’arrêter en route, au milieu du trajet. Eviter de trop se focaliser sur l’objectif, et éviter de râler parce qu’on arrivera à destination un jour plus tard.

Je prends une chambre dans une belle guesthouse perchée sur des poteaux à flanc de montagne, dominant la rivière, et les six irlandais me suivent. L’occasion de discuter toute la soirée et d’apprécier leur simplicité. Repas sur la terrasse, à la lueur de la bougie parce que l’électricité n’arrive pas de 18h à 22h comme promis. Je m’arme de mes boules quiès pour dormir, parce qu’un concert indescriptible de grenouilles se met en marche, accompagné du vieux remorqueur qui pousse encore la plateforme à une heure avancée. Je me lève tôt pour voir le lever de soleil, mais nous sommes plongés dans la brume, dans cette région c'est signe de beau temps plus tard dans la journée. Quatre des irlandais attrapent un bus pour gagner du temps, les deux autres choisissent le bateau comme moi, direction le paradis. Nous montons dans une de ces petites pirogues pour quatre heures de magie sur la rivière Nam Ou. Elle serpente entre deux rangées de petites montagnes, flanquées de dunes sableuses et terreuses envahies par la végétation. Au sommet de ces dunes on discerne régulièrement de petits villages, quelques maisons précaires en bois et bambou. Les habitants se baignent dans la rivière, s’y lavent, y pêchent, s’y déplacent en pirogue. Certains embarquent sur notre pirogue pour aller au village suivant ou au marché, un peu intimidés de se trouver en présence de tant d’étrangers. Nous faisons une pause dans un marché surréaliste, au bord de la rivière. Quelques stands de bambous plantés sur le sable, vendant des vêtements, des fruits, des objets utilitaires. La marchandise est très banale mais le seul emplacement du marché est magique. Question marchés exotiques, je pensais avoir ma dose depuis huit mois, mais je n’aurais jamais imaginé trouver ça. Nous repartons dans ce décor splendide, les fesses quelque peu endolories par la simple planche de bois qui sert de siège, mais les yeux grand ouverts, émerveillés par la magie de ce pays qui vit encore dans une autre époque, ici en tout cas. Des buffles pataugent, laissant juste la tête hors de l’eau, des cochons se promènent, des vaches maigres broutent ce qu’elles trouvent.




Au bout de quatre heures nous arrivons à Muang Ngoi, ma destination, tandis que les deux irlandais Paul et Siobhan poursuivent jusqu’au village suivant. Muang Ngoi, c’est un petit village au bord de la rivière, accessible uniquement par bateau, dans un décor féerique de rizières, montagnes rocheuses à pic. Je me trouve un bungalow au-dessus de la rivière pour moins de 5 $ la nuit, hamacs et moustiquaire fournis, et me cale rapidement sur le rythme local : lent, silencieux, simple. Pas d’internet, électricité de 18h à 22h, quelques guesthouses, quelques restaurants, et une vraie vie locale avec ses maisons en bambou et bois. Les locaux se préoccupent peu des voyageurs, attendent toute la journée dans leur petit commerce en somnolant, en attendant que le temps passe. La vie paraît belle ici, avec très peu de divertissement.

Ma première après-midi se résume à mon hamac, à un petit tour du village pour découvrir la vraie vie. Les habitants sont un peu surpris de me voir sur les petits chemins de terre entre les maisons, et bredouillent des petits « sabaidii », d’une façon réservée et polie, sans sourire excessif. Cela fait une grande différence avec les Vietnamiens ultra-souriants et spontanés, mais je ne l’interprète pas mal, je vois ça comme le résultat de leur vie lente et nonchalante, d'une méconnaissance des étrangers mais pas d'un manque de chaleur. Ils sont encore plus perplexes lorsqu’on sort l’appareil photo, la modernité arrive difficilement ici, sauf la télé par satellite. Par contre ils sourient déjà plus lorsque l’on prononce deux mots en laotien, comme « sabaidii » ou « kop jai ». Je ne me lasse pas d’entendre ou de prononcer ce mot « sabaidii », un des plus beaux mots pour dire bonjour, un mot tout en sourire. Encore plus lorsqu’il est prononcé par les enfants, qui insistent sur le « i » final.




Je replonge au fond de mon hamac pour profiter de la belle lumière de fin de journée, face à la rivière et aux montagnes, et n’en ressors que pour m’offrir un succulent laap dans un petit resto. Le laap est une spécialité laotienne, de la viande émincée à la menthe et autres herbes, un dé-lice ! Je profite des rares heures d’électricité pour me faire un petit film sur le portable, sous la moustiquaire, et je m’endors devant, forcément. C’est bon de voir comme le temps est plus généreux quand on est coupé d’internet et de tout divertissement extérieur …

Difficile de dormir tard malgré mes boules quiès, au petit matin les coqs paraissant dépasser les habitants en nombre. Mais quel bonheur de mettre un pied sur le plancher, largement espacé et qui laisse transparaître le talus, et d’ouvrir la porte du bungalow pour redécouvrir la rivière et les montagnes en face. Après une douche froide de rigueur dans la salle de bains très rustique, je prends bien une heure pour petit-déjeuner … la lenteur du service est de rigueur au Laos, et pester contre cette lenteur témoignerait d’une totale incompréhension de ce pays. Il faut bien 15 minutes pour que le sympathique patron de ma guesthouse vienne prendre ma commande, et 30 minutes pour qu’elle me soit servie. Comme j’étais prévenu avant d’entrer au Laos, et que mon programme de la journée est très léger, j’en souris et apprécie autant que possible ce temps « perdu », comme un de pied-de-nez envoyé au stress de nos vies occidentales, stress auquel j’échappe moi-même difficilement.

Le hamac est le prolongement de mon lit pendant une partie de la matinée, jusqu’à ce que je me décide à bouger un peu, pour faire une belle marche dans les environs, la seule possible sans guide. En repassant dans la « rue principale », je vois un vieil homme assis en tailleur sur la terre, devant quelques médicaments posés sur un bout de tissu, et pas de première fraîcheur. Il explique à un habitant l’utilisation d’une ampoule, d’autres attendent leur tour. C’est la pharmacie mobile (et dérisoire), qui fait probablement le tour des villages le long de la rivière. Plus loin une vieille femme aiguise un couteau devant sa modeste baraque.

Je passe devant les écoles, primaire et collège, les seuls bâtiments en dur avec le temple. C’est justement l’heure de la récré, et en les voyant j’aurais rêvé d’aller dans une école comme celle-là. Je m’engage sur le beau chemin de randonnée, cerné par des montagnes vertes et vertigineuses. Je longe des rizières d’un vert éclatant.




J’arrive à une grotte. Coup de chance un allemand arrive et me prête une torche pour aller l’explorer. C’est extrêmement glissant et dangereux, mais magnifique. Je ne suis jamais allé aussi loin dans une grotte non aménagée.

Je poursuis jusqu’au premier village, à travers les rizières sèches broutées par des vaches bossues et maigres. C’est bizarre, j’ai l’impression de pénétrer à l’intérieur d’une île, alors que nous sommes en plein milieu d’un continent immense. Le village est splendide, les enfants réclament des photos et prennent leurs meilleures poses. On voit différents petits métiers devant les maisons, entre autres un grand tonneau qui sert à distiller l’alcool de riz. A part la dépendance agricole au climat, et les éventuels problèmes de santé difficiles à régler, leur mode de vie paraît parfait, basé sur peu de confort, aucun stress, pas de dépendance à la modernité. Seules les paraboles leur ouvrent une fenêtre sur le monde « normal », sans apparemment leur donner de tentation.




Le temps de me rafraîchir à l’unique et charmant petit café en bambou, avec vue magnifique sur les rizières, de discuter avec allemands, québécois, suédoise, et d'observer une sorte de criquet géant, je reprends doucement le chemin du village, pour y retrouver mon bungalow et le hamac, et terminer tranquillement l’après-midi. Je refais quand même un petit tour avant le coucher du soleil, et assiste à une partie de takraw, sorte de mix entre le volleyball et le football, qui demande une habileté impressionnante. Ces jeunes, bien qu’ils aient l’âge de chercher plus de divertissement, ont l’air d’aimer leur vie ici. Autour du terrain de takraw, des chiots se courent après et se mordillent sans relâche pour jouer. D’ailleurs, détail anecdotique mais révélateur, les chiens n’aboient jamais ici. Plus loin une femme bat des algues pour les cuisiner. Encore un choix cornélien pour choisir un petit resto dominant la rivière, et je file sous ma moustiquaire pour m’endormir devant un film sur mon portable.

Réveil au son des coqs, et des voix des hôtes qui franchissent sans mal la fine couche de bambous qui sert de cloison, et petit-déj’ dans la partie la plus animée du village. J’ai décidé de partir ce matin, un peu à regret parce que mon hamac m’aurait bien supporté une journée de plus, mais je n’en peux plus d’attendre pour voir Luang Prabang. Et mon intuition me dit que je vais y retrouver quelqu'un ... Je saute dans la pirogue déjà bien chargée, retour à la civilisation !
-
-

samedi 20 mars 2010

Montagnes, Minorités, Marche, Moto, c’est le nooord du Vietnam

Tôt le matin, je quitte enfin ce Hanoi Backpackers Hostel que je ne supporte plus alors que j’y étais bien au départ, et une moto m’emmène loin, très loin du centre, vers un départ de bus dans un quartier populaire et très sale. Mon petit sac sur le dos, mon gros sac entre le guidon et mon chauffeur, c’est parti pour dix minutes d’équilibre instable dans la circulation chargée d’Hanoï. Je sens que j’ai encore ferré le plan foireux en réservant ce bus, mais le train était plein et c’est ce qui fait un vrai voyage, ces trajets un peu incertains où l’on est le seul étranger. Je sens aussi que j’ai été bien floué dans l’histoire, l’agence s’est pris une commission énorme sur le coup. Enfin bon, ça reste moins cher que le train, et je veux quitter Hanoi au plus vite pour y être resté trop longtemps.

Je reprends donc la route seul, cela me fait un peu bizarre puisque j’ai passé plusieurs jours avec Ann et Gabriela. Le paradoxe du voyage solitaire : on est content d’être seul pour rencontrer plus de gens, et l’on se sent un peu perdu lorsque l’on quitte un(e) ami(e) de voyage avec qui ça avait bien collé. On s’habitue vite au plaisir de passer son temps avec quelqu’un, d’avoir toujours quelqu’un qui demandera ce que l’on fait, qui proposera une activité ou une visite. Et pourtant en voyageant seul, on renonce à ce plaisir la plupart du temps, la majorité des rencontres étant agréables mais très temporaires. Parce que la liberté et l'absence de concessions passent avant tout. Et parce que le voyage consiste à aller de l'avant et découvrir, sans se brider par la compagnie distrayante et sécurisante d'un autre voyageur.

Ma destination : les montagnes du nord, près de la frontière chinoise. D’abord Lao Cai, sorte de hub local pour les trains et bus, puis Bac Ha. J’irai après à Sapa, la destination reine et très touristique de cette région. Les hôtels proposent tous un tour organisé vers Sapa au départ de Hanoï, mais je veux voir Bac Ha d’abord, y aller par moi-même et m’organiser sur place, la seule vraie façon de voyager finalement. Sauf lorsqu’un trek est difficile à organiser, ou que l’on veut gagner du temps, ou que l’on a un besoin impératif de rencontrer du monde.

Je monte donc dans le bus, très correct pour un bus non touristique et rempli à moitié, pour neuf heures de bus. Comme je m’y attendais, je suis le seul étranger. Le bus s’arrête à midi dans un resto très couleur locale qui ne m’inspire pas, surtout après avoir vu les toilettes. Tant pis je déjeune d'un paquet de chips, ce ne sera ni la première ni la dernière fois. Nous arrivons finalement en fin d’après-midi à Lao Cai, et je trouve un tout petit hôtel devant la gare. Le jeune gérant parle un anglais parfait, la chambre est nickel, et il y a le wifi. Le rêve inattendu pour une ville si peu touristique où quasiment aucun voyageur ne dort. Et c’est ça qui est bon, s’arrêter une nuit dans une ville non touristique, se trouver un petit hôtel tranquille, et voir défiler les autres voyageurs et touristes dans leurs tours organisés.

La nuit est courte, je dois prendre le bus à 6h30. Mais aucun problème pour se lever, à 5h la place grouille déjà d’activité, de bus qui font tourner le moteur et de touristes qui sortent du train de nuit. Je marche vers le terminal de bus et j’échappe aux jeunes arnaqueurs qui essaient de me pré-vendre un ticket au double prix. Comme le guichet ne me vend pas le ticket, c’est un peu difficile, je n’arrive pas à distinguer l’assistant du bus des arnaqueurs, mais je m’en tire quasiment au bon prix.

Deux heures et demie de bus dans les lacets, en montée continue, et nous arrivons de bon matin à Bac Ha, petite ville de montagne sous le soleil et très calme. Le temps de prendre ma chambre désuète dans un petit hôtel et de terminer ma nuit, je vais me balader en ville et je me demande instantanément ce que je suis venu faire là. Le Lonely Planet dit bien que c’est l’équivalent de Sapa en moins touristique, et un bon endroit pour se reposer, mais là quand même c’est très calme. Je tente une prise d’information dans un hôtel qui affiche la liste des treks avec guide, mais le réceptionniste se contente de me montrer une carte et me dit clairement qu’ils ne vendent aucun trek. Dans mon hôtel c’est pareil, ils font la publicité de treks qu’ils ne veulent pas vendre ! Je vais déjeuner dans le seul restaurant ou presque, et découvre avec plaisir qu’il y a un ou deux couples de voyageurs dans le patelin. Le paradoxe de celui (moi en l’occurrence) qui se veut vrai voyageur autant que possible : sortir (un peu) des sentiers battus, mais se rassurer en y trouvant d’autres voyageurs.

Je me rends compte qu’il y a beaucoup de français, dont un couple avec deux jeunes enfants. Voyager avec des enfants au Vietnam, et dans certains endroits moyennement touristiques, il faut le faire, ne serait-ce qu’au niveau de la nourriture et des transports. Je discute avec un autre couple de français sans enfants, qui est là depuis deux jours, ils me disent qu’aujourd’hui la ville est animée.
« Ah bon ? pourtant je me sens bien seul, et là tout de suite je ne vois pas un chat sur la place centrale.
- Oui mais jeudi c’était pire. On a failli repartir immédiatement.
- Ah parce que pire c’est possible ?
- Humm … oui. »

Finalement ils me racontent avoir sillonné les routes de montagne alentour en scooter, pendant deux jours. Ils m’expliquent un peu les possibilités (facile, il y a seulement deux routes qui sortent de la ville), et me confirment que le marché du dimanche matin, le lendemain donc, est une vraie raison de venir à Bac Ha. Rassuré, j’enfile mon assiette de noodles, pour ne pas changer, et je file louer une moto dans mon hôtel. Ça ils veulent bien faire, ouf ! Le Lonely Planet précise quand même que cet hôtel est le meilleur tour-opérateur de la ville, j’imagine l’asthénie des autres.

Je chevauche mon petit scooter manuel, la banane au visage et le casque très haut perché sur ma grosse tête, et je pars sur une petite route sinueuse de montagne, essayant d’éviter les nids-de-poule. Ça monte vite, je découvre rapidement un paysage de montagnes raides, plutôt brunes que vertes, et embrumées malgré le soleil écrasant. Un peu l’image que j’ai de la Chine en fait, une montagne qui reste majestueuse mais pourrait être plus esthétique. Mais les rizières, omniprésentes, sont là pour apporter une vraie beauté au lieu. Pas un mètre carré n’est oublié, toute la montagne est utilisée sauf les pentes vraiment trop raides. Et de belles teintes jaunes ou rouges ocre viennent nuancer ça et le brun dominant de la terre. Rapidement je croise des femmes issues des minorités ethniques, qui sont LE leitmotiv du tourisme dans cette région. Leurs tenues sont magnifiques, colorées, mais très lourdes à porter.




Je traverse quelques villages, attire tous les regards sur mon passage, vois de nombreuses tables de billard sous de vieilles cabanes au bord de la route, et arrive à Can Cau, réputé pour son marché du samedi. J’arrive un peu en retard, ils remballent tous la marchandise. Mais même trop tard je suis frappé par l’exotisme du marché : petites installations de bois sur une plateforme terreuse surplombée par la montagne, femmes en tenue traditionnelle, vaches qui se promènent en liberté sous les bâches. Certaines femmes reprennent la route à pied, avec les enfants pour certaines, d’autres attendent leur homme qui vient les chercher en scooter (même à deux sur un scooter, il reste de la place pour trois sacs de riz et deux sacs de légumes). Un bus arrive, immédiatement assailli par une dizaine de femmes et leurs lourds sacs de marchandises, et reprend la route, bondé à l’intérieur et sur le toit.




Je fais quelques aller-retours sur la route, pour prendre de belles photos et observer les familles qui s’engagent sur les chemins de montagne pour rentrer à la maison après ce marché sûrement lucratif. Je poursuis sur la petite route de plus en plus belle, passe un col, et descend vers la petite ville de Sima Cai, la dernière avant la frontière chinoise. Le plein d’essence pour un prix dérisoire, et je repars en sens inverse, m’arrêtant tous les cent mètres pour prendre une photo. Souvent dans un virage, des petites filles en tenue traditionnelle me font signe de la main et me lancent des Hello avec un grand sourire. C’est simple, je-ne-m’en-lasse-pas.

Je reviens à Bac Ha et m’arrête rapidement dans un petit palais à visiter, avec documents français d’époque expliquant l’importance de la région et le profil sociologique des minorités ethniques. Je fais quelques tours en ville, m’incruste dans une cour d’école où est donné un spectacle de chant. Désolé, mon intention n’était pas de détourner l’attention des élèves spectateurs du spectacle, c’est eux qui m’ont regardé ! Comme j’ai encore une heure, je prends l’autre route qui sort de Bac Ha vers le village de Can Pho, et tombe encore sur un petit miracle de beauté : un village authentique, peuplé par une autre minorité avec d’autres tenues tout aussi belles. Des rizières plus colorées et magnifiquement empilées, un petit garçon sûr de son autorité qui chevauche un buffle d’une saleté impressionnante, des femmes qui rentrent des champs avec une énorme botte sur le dos, de petites maisons précaires en matériaux naturels. Je traverse le village, m’engage dans les lacets qui le surplombent, et je ne résiste pas à l’envie de tourner une petite vidéo sur le scooter.




Je photographie un garçon et une fille qui ramènent leurs buffles, il fait le show devant l’appareil et elle se cache. Je passe le col, observe le retour des champs des paysans, femmes dans leurs tenues traditionnelles et hommes dans des tenues banales. Tout ce spectacle est baigné par le soleil rougeâtre atténué par la brume omniprésente. Une carte postale absolue, un lieu magique gravé là, juste derrière mon front.




Je redescends par les lacets et rentre à Bac Ha pour rendre le scooter. Je repars au même restaurant, sur la grande place face à l’hôtel, et découvre qu’il y a de plus en plus de voyageurs dans le patelin. En mangeant je fais la connaissance de Nikki, américaine au sourire large comme ça qui voyage trois mois en Asie du Sud-Est. Forcément nous parlons voyage, et comme elle a aussi l’Amérique du Sud qui palpite à la place du cœur, la discussion ne tarit pas. Nous prévoyons de nous retrouver au fameux marché du lendemain, dès 7h pour échapper à la horde de touristes qui viendront en bus sur une matinée. L’afflux de voyageurs ce soir s’explique simplement par ce marché.

Je commence à arpenter le marché à l’heure prévue, après un petit-déj’ à la terrasse du même restaurant, qui commence à bien me connaître. La place est déjà noire de monde depuis un bon moment, surtout traversée par les femmes des villages alentour, en tenue traditionnelle et portant une lourde hotte de marchandises, soit des légumes soit de la marchandise pour touristes. Je découvre un marché plus grand que je ne l’avais imaginé et fourmillant de vendeuses, locaux et touristes. Mi-exotique, parce qu’il y a des secteurs du marché qui valent le coup d’œil, et mi-touristique par rapport à celui de Can Cau vu la veille. Je fais un premier tour rapide et croise Nikki qui a raté son réveil. Nous reprenons une visite plus lente, les yeux grand ouverts face à toutes les curiosités. D’abord la partie « restaurants » sous les baraquements en bois, où les locaux sont plongés dans leur bol de riz ou leur soupe de noodle.




La partie boucherie, où l’on voit absolument toutes les parties de tous les animaux, notamment des têtes de cochons déjà bien entamées mais reconnaissables par l’oreille et le bout de groin qui restent étalés pour le plaisir des mouches. Des légumes exotiques et inconnus pour ma part, des vêtements, des accessoires en tout genre pour la maison ou l’agriculture. Nikki et moi savons que la partie la plus exotique est le marché aux animaux, il faut trouver un guide vietnamien anglophone pour savoir où il se trouve, et nous déchantons rapidement. Un endroit exigu et bondé de monde, locaux exclusivement. Des cris d’animaux et notamment de cochons fourrés sans ménagement dans des sacs. Des volailles écrasées dans de petites cages, deux chèvres qui se pressent contre un mur pour essayer d’échapper aux mains qui les palpent et les auscultent. Encore des cochons qui crient. Et des chiens, très nombreux. Des adultes et des chiots, attendant au bout d’une laisse d’être vendus. Eux sont calmes, mieux traités que les cochons et ignorants de leur sort prochain. Sauf un chiot qui hurle parce qu’un acheteur potentiel lui palpe le ventre pour évaluer son gras. J’avais commencé à voir que des chiens pouvaient être mangés au Vietnam, notamment en allant à la Pagode des Parfums depuis Hanoi, mais je n’imaginais pas que dans certains endroits leur commerce pouvait être aussi banalisé. On ne sait plus bien s’ils sont parfois traités comme animaux domestiques, ou uniquement comme future nourriture. Mais je n’ai jamais vu autant de stress animal.




Nous revenons à la partie plus traditionnelle du marché, errant inlassablement dans les allées à la recherche d’une découverte culturelle et d’une belle photo à prendre. Un dernier déjeuner, toujours au même restaurant, et nous trouvons avec un peu de mal le bus qui va nous ramener à Lao Cai. Bus très local, très chaotique, mais au juste prix. A destination, le chauffeur nous facilite la tâche en nous déposant devant un mini-bus qui part à Sapa. L’autre destination des montagnes du nord, très touristique mais immanquable pour ses possibilités de trek dans les rizières et les villages.

Pendant une heure de trajet assez chaud, le chauffeur faisant crisser les pneus dans chaque lacet, nous sommes entassés comme j’ai pu l’être au Pérou, et les deux petites vieilles engueulent l’assistant parce qu’il nous a fait payer un peu plus cher. Jouissif d’assister à ça, mais ça ne nous rendra pas notre argent. Nous arrivons en plein nuage et en plein froid à Sapa. Nous écartons rapidement la horde de rabatteurs qui nous proposent leur hôtel, et nous marchons vers Pinocchio Hostel. Nous sommes marqués à la culotte par une horde de femmes Hmong dans leurs tenues traditionnelles, qui cherchent à nous vendre leur marchandise. Elles sont très fines, commencent à sympathiser en posant beaucoup de questions sur qui nous sommes. Nous ne sommes pas dupes, mais pour rester gentils et ouverts il faut bien répondre aux questions (Comment tu t’appelles, quel âge tu as, d’où tu viens). Et nous découvrons au passage qu’elles parlent bien anglais, malgré leur mode de vie traditionnel dans les montagnes. Comme Nikki se se départ pas de son sourire et de sa gentillesse, forcément toutes les femmes rappliquent et nous escortent jusqu’à l’hôtel, glissant à la fin « You buy from me ? ».

On nous donne une chambre parfaite pour un prix dérisoire, et le temps de traîner à la réception pour consulter nos mails, nous découvrons que toutes les femmes qui nous ont escorté nous attendent encore devant l’hôtel. Un seul objet vendu suffirait à gagner leur journée, donc elles sont prêtes à tout. La gérante de l’hôtel nous propose habilement un de ses treks pour le lendemain, nous sommes pris par la flemme de faire le tour des agences et nous signons. Nous sortons de l’hôtel et sommes illico escortés par cinq femmes et leurs hottes. Je tourne la tête vers un café, et alors que revoilà … les quatre hollandais rencontrés sur le tour de la Baie d’Halong. Je ne peux pas dire que j’avais fait intimement connaissance avec eux, mais ils étaient vraiment très sympas et je les avais revus à l’hôtel à Hanoï. Et ça me fait vraiment plaisir de les recroiser ici, mais ils quittent Sapa dans une heure. Le temps de discuter avec eux dans le café, nous voyons que les femmes Hmong ont lâché prise et n’attendent plus dehors (ou ont trouvé un autre touriste dans la rue à harceler). Nous remontons jusqu’à Baguette et Chocolat, un restaurant au nom très prometteur qui a été à la hauteur avec ses pâtisseries à tomber par terre.

Petit arrêt dans une galerie de photographies splendides prises dans les villages alentour (et qui me donnent bien des idées), léger repos à l’hôtel, et nous ressortons dans un petit restaurant. Sapa a beau être touristique, il faut reconnaître qu’on s’y sent bien, et que la plupart des restaurants savent recréer l’ambiance montagnarde typique, avec ses décors de bois, ses feux de cheminée et ses intérieurs cozy. Après ce restaurant délicieux, je laisse Nikki rentrer seule pour faire un petit tour de ville et traquer les belles photos de nuit. Pourquoi je ne peux pas m’empêcher de photographier un coin de rue dérisoire éclairé par un vieux lampadaire ? Moi je sais pourquoi je le trouve beau, mais ce réflexe photographique et tous les autres deviennent des obsessions : prendre des alignements de maisons ou de statues ou d'objets, zoomer à fond sur un élément original …

Le lendemain, nous sommes sur le pont à 9h pour commencer le trek de deux jours avec un guide. Hugin, néerlandais, et Raïssa, allemande, nous accompagnent. Nous faisons la connaissance de notre guide, qui est censé bien parler anglais mais a un accent asiatique à couper au couteau, si bien que nous nous concentrons pour capter un mot sur dix. Mais il est sympa, a l’air marrant, et joue les beaux gosses dans son pantalon de costume et sa chemise blanche, tenue inattendue pour trekker. Les femmes vendeuses nous attendent mais curieusement nous lâchent rapidement, et nous descendons les marches vers les rizières, en plein brouillard. Il ne faut pas dix minutes à Raïssa avant qu’elle s’étale de tout son long dans une rizière boueuse, presque au ralenti et sous mes yeux. Ça c’est fait.

Malgré la brume le paysage est grandiose : les rizières, la rivière, les bambous immenses, les cabanes en bois à flanc de montagne, les cochons et les bœufs qui se baladent tranquillement, les enfants qui jouent sur les chemins escarpés. Ils ne sont pas à l’école ? Hé non, c’est Happy Woman’s Day aujourd’hui, la journée de la femme, et on n’a pas fini de nous le rappeler. Journée que je trouve totalement hypocrite chez nous, mais qui a peut-être plus d’intérêt ou d’utilité ici, dans un pays en voie de développement, où les traditions maintiennent encore un fossé béant, que dis-je un précipice, entre la vie des hommes et celle des femmes.




Nous ne sommes pas seuls à trekker, il y a quelques groupes devant et derrière nous, tous marqués à la culotte par les femmes Hmong qui cherchent à vendre leur marchandise. Mais curieusement, à chaque fois que nous doublons ou sommes rejoints par un de ces groupes, les femmes Hmong n’en profitent pas pour changer de proie et s’accrocher à nous. Elles ont raison, il vaut mieux se concentrer proprement sur une seule cible, plutôt que virevolter tous azimuts. Les enfants que nous croisons disent toujours gentiment Hello, et ne demandent presque jamais rien, c'est  très agréable quand on a connu d’autres pays comme le Maroc par exemple.




Nous marchons trois heures à travers rizières et petits villages, dans l’humidité omniprésente. Nous ne sommes pas à la bonne période pour observer le vert éclatant des rizières, mais le décor est tout de même magique. Les bœufs rustiques et les cochons se promènent en oute liberté et ont l’air heureux comme tout. Le mot heureux paraît étrange, et fait bien rire Nikki et Raïssa, mais je ne peux m’empêcher de repenser au marché des animaux de Bac Ha la veille, où ils criaient de tous les côtés.




Nous arrivons dans un petit resto rustique en bord de rivière pour déjeuner. La pause déjeuner s’allonge bizarrement, et ce que nous craignions se confirme, il n’y a qu’une heure de marche l’après-midi, et le kilométrage annoncé dans la description du trek était largement gonflé. Nous le faisons comprendre à Duwan, notre guide, qui nous fait prendre un détour en hauteur pour éviter d’arriver trop tôt. Enfin ça ne change pas grand-chose, nous arrivons tout de même en milieu voire en début d’après-midi dans la maison qui nous accueille. Maison très supérieure à la moyenne, billard, nombreux lits en mezzanine, cela sent l’accueil de touristes à la chaîne, mais on ne peut pas dire que ce n’est pas une nuit chez l’habitant puisque le couple vit vraiment ici, au rez-de-chaussée.

Comme il est très tôt, nous partons à quatre, petit groupe déjà très soudé, à la découverte du village Ta Van. Un tout petit gars de 3 ans à peine nous suit comme si nous étions ses copains, mais il ne bronche pas un mot et ne sourit pas. Belles photos de visages au passage, et l'une de mes plus belles depuis le début.




A notre grand étonnement, les gens ici se débrouillent très bien en anglais, même des très vieilles femmes, et ils nous expliquent tous qu’ils ont appris en parlant avec les touristes. Stupéfiant ! Ils comprennent à peu près tout ce que nous disons, et ont eux-mêmes un vocabulaire très suffisant pour entretenir une bonne conversation. Petit tour par des boutiques d’artisanat, tout ce qu’ils fabriquent est vraiment beau et pas cher. De temps en temps je voudrais pouvoir acheter plus, mais à moins de dépenser une fortune en poste, ou de méchamment alourdir mon sac, ce n’est pas possible. Nous croisons trois filles en tenue traditionnelle qui parlent encore mieux anglais que les autres, et posent volontiers pour la photo. Elles savent exactement où nous marcherons demain matin, et ont bien prévu de nous suivre …

De retour à la maison d’hôtes, nous découvrons qu’il y a un autre groupe de marcheurs. Cela casse un peu le charme, mais ils sont très sympas et un nouveau grand groupe fusionné se forme immédiatement. Il commence à faire très froid, mais le repas est divin et l’alcool de riz coule à flot. Comme c’est la Journée de la femme, chaque homme autour de la table est prié d’y aller de son speech (comment ça j'ai encore fait mon cynique !?!). Nous finissons par quelques jeux et nous couchons tôt sur la mezzanine, sous les moustiquaires inutiles par ce froid.

Lever assez tardif, dans le bruit continuel de la pluie fine qui tombe. Cela promet pour le trek … Le petit-déjeuner traîne en longueur, à croire que le guide a encore du temps à perdre pour éviter d’arriver trop tôt. Nous reprenons enfin le trek sous la pluie fine, et arrivons rapidement sur des petits chemins détrempés, boueux, ultra-glissants. De nombreuses femmes Hmong sont là pour nous suivre, et notamment les trois filles qui avaient posé devant nos appareils la veille. Ces femmes tiennent la main de ceux qui ont l’air le plus en difficulté, puis rapidement prennent chacune un marcheur en charge, les filles surtout. Moi j’ai le droit de me débrouiller tout seul, sauf dans les endroits très chauds. Ces femmes font une tête de moins que nous, se baladent en petites bottes et ne tombent jamais, nous supportant d’une main solide alors que nous avons de bonnes chaussures de trek. A chaque pas nous manquons de nous étaler de tout notre long dans la boue, sauf lorsqu’elles donnent leur main.




Le trek ne dure que trois heures mais est éreintant tellement il faut se concentrer sur chaque pas pour tenir debout. Nous traversons une forêt de bambous, arrivons à une petite cascade sur une belle pente rocheuse. Les femmes Hmong sont d’une réelle gentillesse, mais elles savent aussi ce qu’elles font. Elles savent qu’elles seront récompensées de leur aide précieuse, et effectivement lorsque nous arrivons au point de déjeuner, les choses s’emballent et nous sommes très sollicités. Et nous n’imaginons pas une seconde leur refuser un achat, ce serait juste indécent. Pour elles, un seul achat justifie une journée de marche derrière un touriste. Je comprends mieux leur inusable insistance dans les rues de Sapa.

Après un déjeuner sous la cabane à bambou au bord de la rivière, dans le froid, nous quittons l’autre groupe, et marchons encore trente minutes, pour rejoindre la voiture qui nous ramène à Sapa. Sauf Hugin qui a choisi l’option trois jours, et rit un peu jaune en voyant qu’il va poursuivre seul avec le guide, alors que nous rentrons tous à Sapa.

Changés et réchauffés à l’hôtel, nous nous offrons un petit tour indispensable chez Baguette et Chocolat, avec deux slovéniens sortis de je ne sais où. Malheureusement Nikki nous quitte, elle doit rentrer à Hanoi par le bus et le train, mais Raïssa reste avec moi à Sapa une journée de plus. Je l’emmène voir la galerie du photographe, histoire d’hésiter encore un peu sur l’achat d’un beau portrait. Mais l’achat et l’envoi d’une photo va encore me coûter un bras, et j’ai un nombre incalculable de photos qui méritent d’être tirées en grand format.

Après un tour à l’hôtel pour se réchauffer, nous ressortons pour dîner, et il faut renoncer à l’idée de profiter des petits barbecues de rue, le froid est juste intenable. Nous choisissons donc un petit restaurant cozy, et finissons dans un pub, étonnament tenu par de jeunes sœurs Hmong. Elles gardent leurs tenues traditionnelles, mais semblent définitivement conquises par une vie plus fun à l’occidentale, monopolisant la table de billard et jouant les garces branchées. Raïssa et moi arrivons quand même à jouer et à battre quelques paires d’adversaires pour conserver la table. Retour à l’hôtel pour une grosse nuit, après ce trek plus fatigant que prévu.

Le lendemain, la gentille et efficace gérante de l’hôtel nous annonce bizarrement que nous devons changer d’hôtel parce qu’il y a un problème d’eau, et forcément nous met sous le nez la carte d’un autre, supposé encore mieux. Là nous aurions peut-être dû nous poser plus de questions, à suivre … Après un petit-déjeuner à tomber, dans la French Bakery, et un déménagement tout confort dans la voiture de la gérante, nous nous décidons enfin à trouver un scooter à louer pour explorer les villages typiques des horizons. Il fait toujours très mauvais, et encore plus froid. Le temps de faire le plein, et de réclamer un autre scooter pour Raïssa parce que ses freins ne marchent pas (le loueur les trouve très bien !), nous partons enfin dans un froid glacial, avec des gants mais un équipement sommaire, pour le village de Ta Phin. Il faut rouler tout doucement, pour ne pas chuter dans les lacets glissants mais surtout pour avoir un peu moins froid. J’ai une barre au niveau du front tellement le froid me saisit.

Après 30 minutes de moto sur la route puis sur un chemin de montagne magnifique, nous arrivons à Ta Phin, habité par la minorité ethnique Dzao reconnaissable aux chapeaux rouges. De nombreux habitants sont dans les champs, et même des enfants assez jeunes qui retournent un champ en pente avec un outil rudimentaire, les pieds nus dans leurs sandalettes de plastique alors qu’il fait 5°C. Il est des jours où l’on réalise vraiment sa chance d’être né dans un pays riche … D’ailleurs tous les enfants se promènent quasiment pieds nus et assez peu vêtus, ils paraissent insensibles au froid. Mais pas insensibles au passage d’étrangers comme nous, partout nous déclenchons des regards d’étonnement, comme si nous étions les premiers à nous aventurer ici alors que le village est réputé pour son authenticité. C’est peut-être encore l’effet étranger-sur-une-moto qui joue ?




Une vieille femme édentée essaie de nous envoyer à son magasin, dans un anglais assez correct, puis plus loin une autre femme plus jeune qui insiste lourdement. Nous sommes prévenus, le harcèlement commercial fait loi ici aussi. Frigorifiés, nous entrons prendre un café dans une petite maison précaire en bois. Quelques jeunes policiers ou assimilés sont là pour se réchauffer, et je vois rapidement un vieil officier arriver pour les débusquer et les renvoyer à leur poste. Ils filent en se marrant, me proposant gentiment une cigarette au passage. Toujours ces petits gestes inattendus dont je ne me lasse pas.

A peu près réchauffés, nous traversons le village par une rue défoncée, passons entre des champs et rizières splendides, et arrivons à une grotte, où nous sommes harcelés comme jamais par des gamins qui veulent nous louer leur torche. Assourdis par leur insistance, nous repartons et nous arrêtons dans le village, un peu effrayés d’être assaillis par les femmes Dzao qui vendent leur artisanat. Curieusement elles nous laissent presque tranquilles, plus intéressées par le mini-bus qui arrive, synonyme de vrai touriste dépensier. La petite place est pittoresque avec ses maisons en bois et ces femmes qui fabriquent leur artisanat. L’ambiance d’hiver donne une teinte encore plus authentique à ce décor.




Nous repartons par le même chemin de montagne pittoresque et plein de trous, par la route sinueuse et pleine de camions, et repassons par l’hôtel pour nous réchauffer un moment. Nous repartons pour le village de Cat Cat, un autre village typique posé à flanc de montagne juste en-dessous de Sapa. A première vue le village apparaît plus comme une succession de petites boutiques d’artisanat, puis progressivement dévoile sa touche spéciale, comme arrêté dans le temps. Des enfants peu habillés malgré le froid, qui jouent aux billes dans les marches à côté d’un jeune cochon, des hommes qui travaillent le fer au feu, des femmes en tenue traditionnelle qui remontent de la vallée avec leurs hottes chargées de bois. Nous descendons jusqu’à la fameuse cascade tant vantée par le tourisme local … mouuuuais. Nous remontons par un long chemin détourné autour d’un grand rocher. Il fait meilleur et nous sentons de plus en plus une ambiance spéciale dans ce village, ajoutée à une belle lumière de fin d’après-midi d’hiver. Ni Raïssa ni moi ne savons dire à quoi c’est lié en particulier, mais il y a quelque chose de spécial dans l’air, et nous ne nous attendions pas à trouver une belle balade pour remonter de la vallée.




Toutes les bonnes choses ont une fin, il faut enfourcher le scooter et la rendre à Sapa. Comme après chaque journée passée en scooter, je ne peux m’empêcher d’avoir la banane et d’apprécier ce petit plaisir. Puisque ce bonheur ne suffisait probablement pas, nous sommes affamés et filons au marché pour manger vraiment local sur un de ces petits étals. Des nems à fondre sur place, un poulet doux-amer qui me met le feu en bouche, du riz frit au poulet comme on n’en n’a rarement mangé, et un jus de citron chaud pour se réchauffer, tout cela nous laisse un sourire persistant. C’est toute la magie de la cuisine de rue asiatique, parfois on tombe mal, et parfois on touche au nirvana pour un prix dérisoire.

Retour à l’hôtel où nous avons emménagé le matin-même, et l’on se rend compte que notre chambre est glaciale, avec des trous énormes dans la porte et les boiseries des fenêtres. Le temps de prendre une douche, chaude sur un coup de chance, nous demandons à la gérante une autre chambre à l’intérieur du bâtiment. Nouvelle chambre obtenue, mais l’on se rend compte une heure plus tard qu’une fenêtre est cachée derrière un meuble, grande ouverte et difficilement fermable. Comme celle de la salle de bains qui ne peut être fermée. L’enfer. Finalement nous apprenons que la gérante, malgré sa gentillesse, son efficacité et l’excellente recommandation qu’elle a gagnée du Lonely Planet, s’est faite virer par la propriétaire, a donc regagné son autre hôtel, vieux celui-là et pas du tout adapté aux étrangers, et a tenu à nous y emmener en invoquant un supposé problème d’eau. Comment font-ils pour endormir même les voyageurs les plus méfiants ? Je l’aime déjà moins cette gérante, malgré l’énergie folle qu’elle déploie pour gérer ses affaires et ses enfants.

On va vite au lit en enfilant quatre couches de vêtements, et je me lève tôt, objectif la sortie du Vietnam ou presque. Raïssa repart de son côté à Hanoï, pour voler vers l’Allemagne. C’est la fin de six jours dans les belles montagnes du nord, colorées surtout par ses habitants. Et à nouveau une excellente compagnie que je dois quitter, ça doit être un bon signe ...
-
-

mardi 16 mars 2010

Arrêt sur voyage à Hanoï

6h30 à Hué. L’œil pas net et le teint blafard, je monte dans le bus qui m’emmène à l’aéroport. J’ai choisi de monter d’une traite dans le nord, à Hanoï, et le billet d’avion que j’ai trouvé à 40 € me permet d’éviter un trajet de bus nocturne qui aurait forcément été pénible. Le vol est vite passé, à l’arrivée il fait très gris et pas bien chaud, c’est encore l’hiver alors que le soleil était écrasant à Saïgon.

Je monte dans une navette Vietnam Airlines, pour éviter les minibus qui rabattent les voyageurs vers des hôtels « pirates », c’est-à-dire des hôtels qui prennent le même nom qu’un hôtel réputé, détournent les clients grâce aux taxis, motos et minibus, et se débrouillent pour arnaquer autant que possible ceux qui sont tombés dans le panneau. Un jeune couple de français un peu râleurs discute du prix avec le chauffeur qui leur annonce 45 000 dongs. Je me suis assis sans rien demander, et il ne me fait payer que 35 000 dongs. Je n’ai pas tout compris mais cela me convient !

Le transfert de l’aéroport au centre de Hanoï est quasiment plus long que le vol. De chaque côté de l’autoroute, les images traditionnelles du Vietnam sont bien présentes : rizières, silhouettes au chapeau conique courbées en deux pour re-semer le riz, buffle massif tirant une charrue les pattes plongées dans la boue, vélos attendant à chaque coin de rizière … mais d’énormes poteaux publicitaires sont plantés ça et là, gâchant un peu le spectacle, et révélant le mouvement en avant du Vietnam. Après une traversée interminable de Hanoï, le bus arrive enfin dans le centre. Au coin d’une rue, je vois au moins cinq motos démarrer simultanément en trombe et se lancer aux trousses de notre bus, affamés par la perspective de décrocher un client. Je marche les 500 mètres qui me séparent de mon hôtel, dans une petite ruelle plein d’hôtels pas chers pour backpackers. Comme à Hué, j’ai choisi un pur, avec dortoir, bar, ambiance, et plein de gens à rencontrer. En fait c’est le même propriétaire australien qu’à Hué, je vise une valeur sûre.

Je m’écrase trois bonnes heures pour récupérer, et au réveil un américain de mon dortoir me signale que la bière est offerte sur la terrasse. C'est un argument de poids, la visite de Hanoï attendra, en plus il fait toujours mauvais et froid. Première journée passée donc à dormir et à enfiler des bières avec d’autres backpackers, ça fait du bien de perdre une journée de temps en temps.

Le lendemain, je m’offre une première balade rapide dans la vieille ville, ramification de petites rues bondées de petits magasins, avec motos roulant dans tous les sens bien sûr. Je me trouve un petit café avec une vue splendide sur le lac Hoan Kiem, et sa fameuse Tour aux Tortues en son centre, le temps d’en lire un peu plus sur Hanoï, et de réfléchir aux jours à venir puisque mon visa expire bientôt. Après un petit resto dans la vieille ville, et un poulet aux cinq saveurs à tomber par terre, je pousse ma balade vers le marché Dong Xuan, dans un énorme bâtiment, qui me fait immanquablement penser aux marchés d’Amérique du Sud, avec son organisation par type de marchandises, son bazar organisé, ses odeurs … ici c’est surtout le poisson séché et les crevettes séchées qui valent le détour.




Je remarque que je ne suis pas beaucoup sollicité pour acheter, et que les vendeuses ne sont pas très souriantes. Comme dans les rues d’ailleurs, on sent les gens assez peu chaleureux mais ils nous laissent tranquilles. En tout cas on est très loin des gens désagréables dont j’avais entendu parler. Dans le sud et le centre du pays, il y avait une vraie chaleur et une vraie gentillesse, mais plus d’insistance à essayer de nous vendre quelque chose. Une fois le marché arpenté dans tous les sens, je retourne au lac pour visiter le temple Ngoc Son, qui se trouve sur un petit îlot sur le lac. C’est bondé mais assez mignon, et on y trouve même une tortue géante empaillée. Le lac abrite-t-elle vraiment deux ou trois de ces tortues géantes, ou est-ce une légende savamment entretenue en introduisant ces tortues de temps en temps ? Comment peuvent-elles survivre dans ce lac en plein milieu urbain et pollué ?




Je poursuis ma balade le long du lac jusqu’au quartier de l’Opéra, et je passe au Centre Culturel Français puis à la Cinémathèque, dans le but de satisfaire ma faim grandissante de films. Je tombe mal, le programme est limité ces jours-ci. Au retour, la Tour aux Tortues et le temple Ngoc Son sont illuminés et irradient le lac. Soirée tranquille à l’hôtel, au rythme de la happy hour. Je rencontre un vieux backpacker britannique, qui continue à voyager, fréquenter les hôtels pour backpackers et les bars, malgré ses 68 ans au compteur. D’ailleurs il vient de traverser le Vietnam sur une petite moto, même pas peur ! Respect, j’espère pouvoir en faire autant à cet âge. Il m’accompagne pour un peu de gastronomie de rue, un magasin de casques la journée qui se transforme en barbecue le soir. Ça y est je suis un vrai froggie, j’ai goûté à mes premières cuisses de grenouille ! Une fois rassasiés, nous allons dans la vieille ville pour goûter à un rituel social très spécifique : le Bia Hoi Hanoi. Il s’agit de cafés locaux, agglutinés sur certains carrefours, où l’on peut boire de la bière fraîche et vraiment pas chère, et demander par une formule spéciale à ce que le verre soit rempli à nouveau. Assis sur une mini-chaise en plastique sur le trottoir, devant un café qui ne paie pas de mine, nous apprécions de partager cette tradition.

Le lendemain je prends mon temps pour émerger, et me dirige vers le Temple de la Littérature. A l’extérieur des écrivains, jeunes ou vieux en tenue traditionnelle, usent de tous leurs talents de calligraphes. A l’intérieur une succession de cours et temples, avec plaques gravées en forme de tortue, en l’honneur des brillants étudiants que le Vietnam a connus. Dans un des derniers temples, j’assiste à une démonstration de musique traditionnelle, avec des instruments hallucinants de complexité et de beauté, maniés avec talent par des vietnamiennes en tenue traditionnelle. Quelques statues imposantes de Confucius viennent compléter la beauté du lieu.




A la sortie des toilettes payantes, un jeune vietnamien veut payer pour moi, certes un montant dérisoire, mais je suis à nouveau scié par cette gentillesse spontanée, surtout qu’à la différence de niveau de vie s’ajoute celle de l’âge, c’en est presque gênant. Mais cela lui fait plaisir de voir un étranger, et de pouvoir discuter un peu en anglais. Je les cherche encore, les habitants désagréables de Hanoi !

Au retour du temple, je m’arrête à nouveau dans un Bia Hoi Hanoi, mais purement local celui-là, sans le moindre voyageur assis. Je ne déclenche pas plus de curiosité que ça, un vietnamien s’assoit à côté de moi et dit juste « Hello, how are you » pour rigoler, il ne sait pas dire plus que cela. Je fais remplir mon verre une ou deux fois pour être vraiment dans le coup, et constate que les deux hommes face à moi passent leur temps à trinquer, avant chaque gorgée en fait. C’est un petit détail qui s’ajoute à la tradition.




Je rentre à l’hôtel juste à temps pour la happy hour, et je fais la connaissance de trois français. Avec eux et quelques anglais et canadiens, je me laisse embarquer vers le Snake Village, divertissement très touristique proposé par l’hôtel. Nous sommes emmenés à l’extérieur de Hanoï, dans un restaurant spécialisé dans le serpent. On commence par manipuler des serpents vivants pour la photo, puis ils demandent à trois d’entre nous de tuer un cobra. La méthode est cruelle : le volontaire l’ouvre dans la longueur à l’aide d’un couteau, et extrait le cœur encore chaud et battant avec ses doigts, et l’avale d’un coup. Même sans cœur le serpent bouge encore. Ensuite nous avons tous droit à boire le sang et la bile (mélangés à de l’alcool), et toute une série de plats à base de serpent, arrosés de vin de serpent. Il faut reconnaître que c’est excellent. Une fois rentré à l’hôtel, j’évite de rester avec les français trop immatures, et vais plonger dans les bras de Morphée.

L’énorme inconvénient de cet hôtel, c’est que tous les matins la moitié des backpackers s’en va, pour un tour organisé ou ailleurs. Donc la moitié de mon dortoir fait du bruit à 7 heures le matin, et il n’y a pas moyen de dormir tard. Mais il y a de la rotation et de nouvelles têtes à rencontrer. Je fais la connaissance de Ann, australienne d’origine vietnamienne, et Paul, britannique qui s’en va dans quelques heures. Nous faisons un petit tour de ville et un petit resto, et je leur fausse compagnie à 14 heures. J’ai un guide particulier pour l’après-midi, en la personne de Thu, la jeune vietnamienne que j’avais rencontrée au Delta du Mékong au début du mois. Elle habite Hanoi et m’a proposé de m’emmener avec sa moto pour visiter la ville. Après quelques aller-retours entre une agence française qui doit étendre mon visa et mon hôtel, nous allons vers le Mausolée d’Ho-Chi-Minh. Son corps est conservé depuis sa mort, et n’est visible que le matin. On peut visiter aussi sa maison, son musée, et une petite pagode posée sur un pilier, au milieu d’un bassin. Au milieu du trafic incessant, elle m’emmène ensuite voir le lac Ouest, un énorme lac en pleine ville qui vaut le coup d’œil.




Thu me pose un tas de questions. Comme de nombreuses jeunes vietnamiennes, elle ne serait pas contre l'idée de se trouver un occidental, mais elle semble avoir mal cerné la différence d’âge et le décalage total. Merci pour la visite, mais on s’arrêtera là. Je rentre à l’hôtel et retrouve Ann pour la happy hour, décidément le fil rouge de ce séjour à Hanoi. Après un bon burger juteux sur la terrasse, qui me change des noodles et du riz, nous partons terminer la soirée dans un des rares pubs de la ville, accompagnés d’un très jeune néerlandais.

Le jeudi est très inactif, à part une tentative de visiter le musée de la Révolution, ratée pour cause d’horaires pas très pratiques au Vietnam. Je ne bouge pas beaucoup de l’hôtel, jusqu’au soir où revoilà ... Gabriela ! Je ne compte plus le nombre de fois où nous nous sommes retrouvés, depuis Valparaiso il y a trois mois. Son trajet en Asie du Sud-Est est exactement inverse au mien, nous devions forcément nous croiser quelque part. Je ne dirai jamais assez à quel point c’est bon de retrouver des amis de voyage, l’envie de nouvelles rencontres étant parfois émoussé par la fameuse et répétitive discussion introductive (« Where you‘re from, how long are you travelling for … »).

Le lendemain je pars visiter la Pagode aux Parfums avec Ann, et sans Gabriela qui veut se poser et n’a pas beaucoup de temps pour visiter Hanoi. La Pagode aux Parfums est un haut lieu de pèlerinage pour les Vietnamiens, c’est un temple en haut d’une montagne, accessible seulement par bateau. Comme d’habitude le bus vient nous chercher à l’hôtel, mais passe une heure à parcourir le centre pour récupérer tous les clients. Ce qui fait qu’une heure plus tard nous repassons devant notre hôtel, c’est assez énervant de se lever tôt pour perdre son temps à faire des ronds en bus. Quand nous quittons enfin le centre, nous nous arrêtons pour faire le plein. Forcément tous les occidentaux dans le bus soupirent d’un air de dire « Il aurait pu le faire avant » alors que les vietnamiens ne disent rien et n’y voient aucun problème. On voit immédiatement la différence de mentalité mais aussi, objectivement, une certaine immaturité du service au client dans les pays en développement.

Une fois le plein fait, nous démarrons par deux heures de bus, assez violentes sur la fin parce que le chauffeur et le guide ont l’air paumés et nous emmenés sur une route défoncée. Puis nous montons dans une barque en métal, propulsée par une femme qui rame à l’arrière, et une autre à l’avant qui a l’air de sérieusement souffrir à cause de l’effort et de la chaleur. Autour de nous des dizaines d’autres barques partent ou reviennent de la Pagode, c’est impressionnant. Une heure de balade sur la rivière, dans un décor magique fait de verdure et de montagnes rocheuses, sous un soleil écrasant et nous arrivons au débarcadère, pour découvrir un lieu à l’exploitation commerciale démentielle. Des restaurants alignés exposent leurs animaux qui pendent au bout de crocs de boucher, dont certains me paraissent être des chiens. Puis des étals pleins de babioles kitsch, avec des vendeurs donnant de la voix au micro, des centaines de visiteurs, un bruit infernal.




Nous déjeunons sans échapper au bruit, et c’est l’heure de monter au sommet. Je décide d’éviter la télécabine, et monte à pied malgré la chaleur et les avertissements du guide. Des centaines de marches, pas un mètre de montée qui n’échappe aux stands vendant à manger, à boire, de l’encens, des souvenirs tous plus kitsch les uns que les autres, des tapis pour dormir pour les pélerins fatigués, et beaucoup d’ordures partout. J’attire beaucoup de regards et de sourires, il faut dire que quasiment personne ne monte à pied, et qu’il y a très peu d’étrangers. Alors un étranger qui monte à pied, forcément ça se remarque. J’arrive enfin en haut, le tee-shirt trempé, et croise seulement deux ou trois personnes du groupe. En fait l’essentiel de la visite tient en une grotte immense, au fond de laquelle on trouve un autel avec Bouddha, et des pélerins aussi fervents qu’enthousiastes, essayant de capter les gouttes d’eau qui tombent de la paroi, gouttes forcément sacrées. Il faudrait que je me renseigne un peu sur le bouddhisme, comprendre de quoi il retourne, mais j’observe les vietnamiens depuis un mois dans les temples, et je peux difficilement m’empêcher de penser qu’ils ont une approche très matérialiste et peu spirituelle de leur religion, en apparence au moins : ils donnent de l’argent à chaque autel, chaque statue de bouddha, et espèrent avoir de la chance et une belle vie en retour. Cela semble vraiment s’arrêter à ça, et à part quelques secondes de prière les mains jointes devant Bouddha, je vois assez peu de vrai recueillement. L’expression « La religion est l’opium du peuple » paraît bien illustrer ce que je vois. Je redescends rapidement, à pied encore et accompagné d’une collègue du guide qui m’explique beaucoup de choses, suppléant ainsi à la nullité du vrai guide.




Je retrouve Ann et le reste du groupe en bas, et nous repartons vers la barque en défilant devant les étals et restaurants, essayant de savoir si certains animaux qui pendent sont des chiens ou pas. A nouveau sur le retour, des centaines de barques remplies de vietnamiens, et propulsées pour la plupart par des femmes qui ne ménagent pas leur effort. Deux heures de bus un peu moins pénibles qu’à l’aller, et nous retrouvons Gabriela et un allemand. Un petit resto français et au lit rapidement, ma montée à pied à la Pagode des Parfums en pleine chaleur m’a laissé un méchant mal de gorge.

Comme je le craignais, je me réveille bien malade, et je zone toute la journée autour de l’hôtel. Mais je confirme quand même mon inscription à la croisière de trois jours vers un de mes lieux mythiques absolus, la Baie d’Halong. Comme Ann et Gabriela y vont aussi, je renonce à l’idée d’y aller par moi-même et je choisis le tour vendu par l’hôtel, bien qu’ils vantent davantage le côté « grosse fête » sur le bateau et la plage privée, que la croisière elle-même. Cela sent à plein nez le « party boat » pour jeunes backpackers qui pensent plus à boire qu’à découvrir le pays, mais je veux éviter de me retrouver sur un bateau avec des quinquagénaires chinois, et je pars bien accompagné avec Ann et Gabriela. Donc c’est parti pour le « party boat » !

Le lendemain je me réveille presque aussi mal que la veille, et nous commençons par quatre heures de bus vers Ha Long City, sur une route assez défoncée et dans un paysage pas terrible. On passe devant des rizières, avec ses paysans courbés et ses bœufs rustiques et massifs qui labourent, mais ces rizières sont pavées de poteaux électriques et panneaux publicitaires. Le Vietnam change vite et perd de sa photogénie en de nombreux endroits. C’est seulement en arrivant à Ha Long City que la magie s’annonce, les rochers commencent à s’élever au-dessus de l’horizon. Ha Long City est laide, et le port est encombré de jonques chinoises qui font la croisière dans la baie, mais dès que nous embarquons dans notre bateau et commençons la croisière, l’attente est récompensée.
Lieu mythique n°8 et ultra-mythique n°1 atteint.




Malgré le temps gris, très fréquent ici, la beauté de ces rochers tombant à pic dans la mer est magnifique, le calme et la sérénité qui se dégagent de l’endroit sont impressionnants. J’ai rêvé de cet endroit pendant longtemps, surtout à travers certains films, et j’y suis. Comme tous les lieux mythiques enfin atteints, l’excitation n’est pas aussi forte que l’attente, j’aimerais réaliser que ça y est, j’y suis. Il faut dire que pendant une semaine à Hanoi, j’ai entendu trop de backpackers dire « je fais le tour à Halong Bay demain », le banalisant ainsi à mes yeux.

Mais je réalise quand même un peu, même beaucoup, et je profite de cette croisière très lente et calme. Je me retiens de prendre des centaines de photos, qui risqueraient d’être toutes identiques. Le bateau glisse doucement sur l’eau, et finit par mouiller l’ancre pour nous laisser partir en kayak. Je partage le mien avec Ann, qui ne m’aide pas beaucoup, et nous accostons longtemps après tout le monde devant une grotte à visiter. Nous nous engouffrons dedans, en maillot de bain, tongs et lampe frontale, et découvrons un petit bassin paradisiaque de l’autre côté. Retour encore plus difficile au bateau avec Ann qui pagaie de moins en moins, au milieu des ordures, tristement très nombreuses dans la baie. Après le dîner, la soirée commence sur le bateau. J’évite de joindre la table des deux guides, avec les jeunes écervelés qui assimilent la Baie d’Halong à une simple occasion de faire la fête, et discute avec un australien plus mûr et très sympa. Ann est au lit depuis longtemps, elle a récupéré mes microbes, Gabriela n’est pas beaucoup mieux depuis qu’elle a quitté le Laos pour le Vietnam. Comme je suis toujours assez malade et que les cabines sont une vraie invitation à s’y reposer, je finis par me coucher tôt après un coup d’œil aux rochers qui dominent le bateau dans l’obscurité.

L’œil encore plus vitreux et les bronches encore plus obstruées, je me lève volontairement à 6 heures, pour profiter de la quiétude et de la lumière spéciale du matin, malgré le plafond nuageux qui ne nous quitte pas. Malgré les dizaines de bateaux qui mouillent dans le coin, la sérénité et le calme sont encore plus forts que la journée, et permettent de vraiment s’imprégner des lieux. Nous reprenons la croisière assez tôt, le bateau glisse pendant une heure sur une mer d’huile et dans un calme absolu, et nous embarquons dans un petit bateau qui doit nous emmener vers une petite plage privée et paradisiaque. Ceux qui ne font que deux jours de croisière nous quittent là, ainsi qu’Ann qui est officiellement malade et rentre plus tôt que prévu à Hanoi. Notre petit bateau nous emmène pour deux heures supplémentaires de croisière, d’abord vers la sortie de la baie, bien plus agitée, puis vers la baie Lan Ha, une baie voisine au nom moins connu mais en fait plus belle que Halong. Nous passons devant des maisons flottantes de pêcheurs, et nous arrivons sur une petite plage coincée au pied d’un grand rocher, avec quelques huttes et installations rudimentaires.




Nous débarquons et passons là l’après-midi et la nuit, entre glandouille, activités nautiques, ping-pong, et descente de bières pour passer le temps. Le soir, le même groupe de jeunes « cool » se forme, ignorant superbement le reste du groupe. Phénomène que j’ai souvent observé ailleurs avec amusement et agacement. Ce n’est pas très grave, il y a d’autres gens très sympas et ouverts, une bande d’hollandais, un norvégien, le couple d’australiens, Gabriela, et d’autres. Mais l’immaturité et la mentalité bas-de-plafond des jeunes écervelés fait pitié.

Je me couche tôt sous la hutte, toujours bien malade, et passe une troisième nuit difficile de suite, ça commence à peser. Lever très tôt pour admirer la vue depuis la plage, et réaliser à quel point le lieu est unique. Un petit ping-pong matinal avec l’australien, le petit-déj’, et nous réembarquons dans le petit bateau-navette venu nous chercher. Nous refaisons donc toute la croisière en sens inverse, d’abord la baie de Lan Ha, puis celle d’Ha Long à bord du grand bateau qui glisse toujours dans un silence parfait.




Retour à Hanoi après quatre heures de bus. Ann est invisible, probablement au fond de son lit dans un autre hôtel. Et je sais qu’elle repart en Australie le lendemain matin. Je reprends péniblement possession de mon lit en dortoir, cela fait une éternité que je suis à Hanoi et dans cet hôtel pour backpackers, animé et convivial mais bruyant en permanence. Mon envie de prendre mon temps à Hanoï et de voyager plus lentement touche ses limites ici, mais je n’ai peut-être pas choisi le bon endroit pour me poser, bien que j’aime Hanoï et son vieux quartier.

Toujours malade, je repars me balader le lendemain, en empruntant des rues en bordure du vieux quartier, rues dépourvues de touristes. L’occasion de prendre de belles photos, dans des rues pittoresques remplies de commerces originaux. Je reviens dans le vieux quartier, et passe devant un petit temple blotti au fond d’une ruelle. Mon premier réflexe est de ne pas le visiter, j’en ai vu beaucoup au Vietnam, des plus grands et des plus beaux. Mais pour une raison que j’ignore moi-même, j’entre quand même dans cette ruelle pour le visiter. Je commence par entendre de la musique, puis je vois une cérémonie à l’intérieur, une femme qui danse et des gens assis autour d’elle. Je reste à l’extérieur, à quelques mètres de la porte pour ne pas déranger, essayant d’y voir plus clair. Cette femme qui danse distribue des billets de banque aux gens assis dans le temple, elle porte de somptueux habits de cérémonie. Elle me voit à l’extérieur et me fait signe d’entrer, me montrant les billets de banque. Les gens assis me font signe aussi pour me convaincre d’entrer, je ne rate pas une occasion pareille. Je m’assieds légèrement en retrait dans le minuscule temple. A peine assis, la femme qui danse me tend des billets, que j’accepte avec un peu d’hésitation. Le montant n’est pas énorme mais pas ridicule non plus, supérieur aux billets que je vois glissés d’habitude dans les boites d'offrandes. Heureusement un jeune vietnamien parle un peu anglais et m’explique de quoi il s’agit : la femme représente un ange. Lorsqu’elle s’arrête de danser et change de tenue cérémonielle, aidée par deux hommes accroupis de part et d’autre, cela représente un ange qui s’en va et un autre qui arrive. Il poursuit son explication en me disant que je suis un homme chanceux, que l’ange l’a vu et m’a invité à venir pour cette raison. Alors que d’autres étrangers curieux passés quelques minutes avant moi n’ont pas été invités à entrer. Je suis chanceux parce que je suis passé au bon endroit au bon moment, et l’argent qu’elle donne à chaque personne est de l’argent porte-bonheur.

J’ai beau être très cartésien, et peu perméable aux croyances, j’ai envie de le croire quand il me dit que je suis chanceux : je suis entré dans ce temple alors que je n’en avais pas envie, et plus largement la chance ne m’a pas quitté depuis que j’ai commencé à préparer ce voyage, sur des détails comme sur des choses très importantes.




Chanceux ou pas, je profite de cette petite immersion culturelle privilégiée et observe le rituel : à gauche de l’autel, quelques musiciens qui jouent inlassablement le même morceau, très beau d’ailleurs ; sur l’autel, de part et d’autre de la femme-ange, deux hommes qui l’aident à changer de tenue entre deux danses (et prennent leur part de billets), et devant l’autel, assis, les chanceux autorisés à rester. L’ange démarre une danse, tenant des petits bâtons enflammés dans les mains, demande à quelqu’un de prendre un plateau de fruits et de les répartir dans les sacs plastiques déjà pleins de nourriture, puis nous jette de pleines liasses de billets, certes d'un montant faible mais le total commence à chiffrer. Ou elle s’adresse à quelqu’un en particulier et lui demande de venir chercher sa part de billets, à moi entre autres. Puis la danse s’arrête, elle quitte sa tenue pour une autre couleur, au moins aussi prestigieuse, et recommence à danser, et ainsi de suite. Parmi les « spectateurs chanceux », deux petites vieilles au visage rabougri qui semblent faire la loi ici. Comme je vois que l’atmosphère est détendue malgré la solennité de la cérémonie, que l’on m’autorise à prendre des photos, je me déplace sur le côté droit pour prendre une photo des musiciens, et je me fais vivement rabrouer par une des deux petites vieilles. Je reprends ma place tout penaud et range mon appareil, mais plus tard la petite vieille m’encourage à prendre une photo, à un moment ni plus ni moins solennel que celui où elle m’a rabroué. Plus tard elle rabroue une jeune vietnamienne qui envoyait un texto, mais s’autorise elle-même à allumer une télé qui traîne là, près de l'entrée.

Je me demande qui est cette femme-ange, d’où vient tout l’argent et la nourriture qu’elle distribue. Peut-être est-elle une dame riche qui s’offre le luxe de jouer aux anges, et que l’assistance joue le jeu à la fois par croyance en la chance et pour ramasser quelques biftons. Et quel est le lien avec la philosophie bouddhiste, puisque l’on vénère davantage la femme-ange que la statue de Bouddha juste devant elle ? Pendant que j’essaie de comprendre, les liasses s’amassent, les sacs de nourriture se remplissent (j’ai le droit à quelques fruits dans un petit sac), les tenues magnifiques et les danses se succèdent. Au bout d’une bonne heure, voyant que je n’ai plus rien à découvrir, je finis par m’en aller, gentiment salué par les autres spectateurs chanceux. Au retour je m’arrête à un Bia Hoi Hanoi sur mon carrefour préféré du vieux quartier, pour boire une bière fraîche et discuter avec quelques hollandais, et je rentre à l’hôtel, tout content de ma petite expérience culturelle.

Le lendemain n’est pas bien productif, je récupère enfin mon passeport et mon extension de visa, et je peux enfin me décider à quitter Hanoi, et l’hôtel qui commence à me sortir par les trous de nez. Je vais dire au revoir à Gabriela, coincée dans sa chambre d’hôtel pour cause de mauvais diagnostic médical, et achète mon billet de bus pour une étape qui s’annonce haute en couleur, en authenticité : le nord du Vietnam, à la frontière chinoise.

Terminé l’arrêt sur voyage, adieu Hanoï !
-
-